Noé regardait son cousin dévorer tout ce qu’il lui apportait. A vrai dire tout ce que Karine lui avait concocté et aussi tout ce que le frigo comptait de prêt à manger. Il avait beaucoup maigri. C’était une évidence. Fièrement, Ibrahim lui avait montré ses nouveaux abdos. Noé n’avait vu que ses côtes saillantes. Putain. Ce gamin semblait pouvoir survivre à tout. D’ailleurs à quoi venait il de survivre ? Quand il avait posé la question au type de la mairie, le type lui avait dit qu’il y avait eu un problème de timing. A aucun moment il ne lui avait parlé du décès d’un des membres de l’aventure. C’était la nouvelle presse qui le lui avait appris ce matin. Quand il avait acheté la feuille de choux dans le hall de l’hôpital en récupérant un Ibrahim radieux. Maintenant il ne savait pas comment aborder le sujet. Et l’instant se rapprochait, pourtant. Il en était aux profiteroles. - Assez mangé mon grand ? - Rassasié. Ca fait un bien fou de manger de la vraie nourriture. - Vous n’aviez que des rations là bas ? - Pire que des rations lyophilisées. Un truc à se pendre. - Je comprends. Dis moi, qu’est ce qui s’est passé ? Qu’est ce qui vous est arrivé dedans ? Ibrahim s’essuya la bouche comme à l’arrêt en fixant Noé avec surprise. Il finit son geste et baissa le regard presque aussitôt pour repousser son assiette et balancer d’un revers de main toute impression d’un malaise. - Franchement, j’en sais rien. Tout allait bien. Ils nous ont dit que c’était un problème d’horloge. Qu’elle avait été mal synchronisée et que leur vie risquait d’être en danger. Figure toi qu’ils parlent de remettre ça ! J’espère que je ferais à nouveau partie du voyage. - Et tu es au courant, sinon ? - Au courant de quoi ? - De la mort de Jean Jacques Rassinou Là, le visage de son cousin vira à celui d’une ombre. Un voile sombre venait de recouvrir son regard. Il se leva et lui demanda s’il pouvait prendre une glace. Noé l’invita du regard. Il sentait qu’Ibrahim avait quelque chose à dire. Qu’il savait quelque chose. Mais qu’il ne pouvait pas. Qu’il ne pouvait pas le dire. Pas le dire parce qu’on l'en empêchait. L’Agence Spatiale Européenne. - Écoutes, Ibra, je suis ton cousin. J’en ai rien à foutre de clauses de confidentialité. Dis moi ce qui s’est passé. Même si tu y es pour quelque chose. - Mais c’est ça le pire, Noé. J’ai rien à te dire. Je ne vais pas inventer ce qui n’est pas quand même ! Et puis vous commencez à me faire chier à toujours vouloir savoir ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, ce que je n’ai pas fait et tout ce merdier. Demandez à l’E.S.A. ou la Mairie. Le bâtiment était bourré de caméras. - Écoutes le prends pas comme ça. C’est juste que pour quelqu’un qui sort d’une expérience aussi traumatisante tu sembles particulièrement bien. Je dirai même qu tu as changé. Le Ibrahim que je connaissais ne s’énervait jamais. Ibrahim jeta sa glace à la poubelle et, les mains dans les poches se posta devant la baie vitrée. Et il commença à parler. - Je suis aussi heureux, parce que cela a été très dur. Pour autant il n’y avait rien qui pouvait laisser douter de la mort de Jean Jacques. C’était un homme droit qui ne cherchait pas les embrouilles. Il nous aidait pour faire pousser nos ressources. C’était un agriculteur. Et un ami. Pour le reste, je suis désolé, même si je t’en ai déjà dit plus que tu ne dois en savoir, je ne peux rien te dire de plus. Parce qu’il n’a rien à dire de plus. Est ce que c’est quelqu’un d’entre nous ? Quelqu’un d’extérieur qui a réussi à entrer ? J’en sais rien. Je ne sais même pas comment il est mort. Tout ce que je voudrais maintenant c’est oublier. Tu comprends ?
Mission Mars - 6
L’ANTIDOTE
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