Le viaduc Léon Blum avait été un projet de longue haleine. La ville de Poitiers, depuis l'accession du maire actuel avait profité de la vague portée par la présidente du Conseil régionale pour accentuer ses décisions en faveur du développement durable. Ainsi des projets de voitures électriques produites en Poitou Charentes comme de l'accent mis sur le développement des projets de transports en commun. Concrètement, les voitures n'étaient utilisées que par les services régionaux et quelques entreprises publiques. Reconnaissables entre toutes, on y voyait plus un pot de yaourt au bruit de voiture téléguidée que le futur de l'automobile. C'était cependant suffisant pour que quelques élus se gargarisent d'un travail accompli pour les générations futures. Pour ce qui était des transports en commun, l'offre n'évoluait guère. Mais, le quartier Montrouge pouvait maintenant prendre le bus pour profiter du centre de la ville. Le viaduc, projet à plusieurs millions d'euros, entièrement financé par les collectivités, enjambait la gare ferroviaire et ce qui ressemblait de plus en plus au quartier d'affaire de la ville pour foncer vers le Théâtre Auditorium et la place de l’Hôtel de Ville. Un ouvrage dans l'ensemble bien pensé qui favoriserait indéniablement le rapprochement des faubourgs avec le cœur. Pour son inauguration, le gratin de la ville avait été convié. Maires, élus locaux, hommes d'affaires en vue et conseillers municipaux faisaient face à la presse régionale et à un ou deux correspondants nationaux pour immortaliser l'instant symbolique de l'ouverture du viaduc. Un bus, conduit par un chauffeur exemplaire, attendait que le ruban soit coupé. Et tous avaient froid. Les frimas de l'hiver s'annonçaient à peine en ce mois d'octobre et les costumes ne suffisaient pas à empêcher les poils des notables de se dresser sous leurs chemises à 200€. Le maire n'échappant pas à cette sensation, son discours fut bref. Tous applaudirent. Le ruban se coupa et le bus pris la direction du centre ville sans que le viaduc ne s'effondre. Quelques flashs crépitèrent et les correspondants de presse commencèrent à faire leur travail pendant que les nappes des tables du cocktail voletaient difficilement sous l'avalanche de mignardises. Noé Ouedraougo avait été convié à assister à l'événement par un avocat d'affaires de la région. Un de ceux qui avait géré les droits de construction du viaduc et pour lequel il avait, il y a quelques années, autorisé un financement qui, au passage, lui avait permis d'accéder à sa place actuel au Crédit Populaire. Responsable grand compte. Le financement avait permis une plus value conséquente et avait installé la banque comme l'une des plus prisées par les entrepreneurs. Il savait néanmoins qu'il n'était, malgré son titre ronflant, qu'un rouage anonyme de cette grosse machine. Alors qu'il sirotait une flûte de champagne acide et trop froid, il se dit qu'il n'avait pas l'esprit « corporate ». A ses côtés, celui qui était maintenant à la tête d'un cabinet florissant, essayait de lui expliquer en quoi le viaduc avait été une aventure extraordinaire et un projet de longue haleine. Bien qu'il n'en soit qu'à sa première coupe de champagne, il ajoutait qu'il fallait reconnaître à quel point le maire avait été visionnaire et ambitieux tout en sachant rester réaliste pour le bien de la communauté. A moment Noé s'excusa, sous le prétexte de profiter de la vue depuis la rambarde du viaduc, l'avocat grelottant lui exposa rapidement la véritable raison de son invitation en lui glissant dans la main un business plan. Pour ce qu'il comprit, c'était un nouveau champ hôtelier quelque part en orbite autour du Futuroscope. Noé lui serra la main en lui promettant de l'étudier sérieusement et de le rappeler. La vue au nord depuis le viaduc propulsa Noé vers ses jeunes années sans qu'il ne s'en rende compte. Tourné vers Buxerolles il ne put échapper aux hautes tours des Couronneries. De d'où il venait. Cet endroit il avait grandi lui manquait toujours. Il avait d'ailleurs de plus en plus de mal à vivre comme s'il n'était pas un des leurs. Sa coupe finie, il entreprit, malgré le vent, de jeter un coup d’œil au dossier que lui avait remis son client, histoire de se changer les idées. Il faisait état de la construction d'un hôtel resort courant sur 45 hectares avec une orientation clientèle CSP ++. Il comprit très vite que le projet de Center Parcs maintenant validé, eux comme d'autres à venir, voulaient profiter de la vague et saisir l'opportunité qui venait de se créer. Le projet semblait séduisant. Mieux situé, labellisé et écoresponsable. Il passa vite sur les détails architecturaux et consulta les chiffres en diagonale. 150 millions d'Euros. Dont 51% en fonds propre. Soit un peu moins de 75 millions à financer. Il fit le rapide calcul de la somme qu'il devrait dégager de son enveloppe et décida que cela pouvait, à priori, en valoir la peine. Comme il rangeait le dossier dans sa veste, il aperçut à la périphérie de son champ de vision, un élément insolite. Du mauvais côté de la barrière, une femme ignorait le vide qui lui faisait face. Elle avait un papier à la main, ne tenant plus le garde fou que de l'autre. Avant qu'il n'ait pu comprendre ce qui se passait, la main lâcha la rambarde. Et il ne put s'empêcher de crier. Les pique assiettes et les journalistes tournèrent de concert la tête vers eux. Ou plus exactement vers lui. Lorsqu'il se pencha avec eux au dessus de la rambarde , il ne put voir qu'une tache sombre en expansion sans arriver à distinguer le corps de cette femme des débris qui l'entouraient.
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