Noé essayait de joindre Maître Jacquet depuis un bon quart d'heure . Cette fois encore, la tonalité se répercuta dans son bureau depuis son téléphone fixe trois fois puis le message préenregistré se déclencha. Noé coupa la communication et s'enfonça dans son fauteuil. L'homme de loi devait être très occupé. Peut être était ce l’heure des comparutions au Palais de Justice. Il consulta sa montre et nota un sévère 12h45. Il prit le parti de penser qu'il ne voulait pas être joint. Il se résolut à ne pas insister davantage et confia à sa secrétaire le soin de le rappeler après 14 h. L’anonymat relatif que conférait sa secrétaire et son numéro d'appel lui permettrait peut être d'éclaircir ce que Maître Deblaix lui avait confié à demi mot lors de leur entretien au sujet du Resort. Leur entrevue s'était déroulée le jour convenu, le lendemain de sa session avec Stéphane et Karim. L'avocat s'était présenté comme à l'accoutumée un peu en avance et il l'avait fait patienter quelques temps avant de le recevoir. Optant pour un terrain plus propice aux confidences, il l'avait reçu à la table de réunion au milieu des documents relatifs au projet qu'il avait baptisé Futuroscope Resort. En l'accueillant ainsi et en le plaçant face à la baie vitrée, Noé faisait montre d'un intérêt plus grand et disposait d'une luminosité plus marquée afin de pouvoir jauger son interlocuteur. Lorsque Thibault Deblaix entra et qu'il lui indiqua la table, Noé sut que son stratagème pouvait s'avérer payant. Un grand sourire vint en effet barrer le visage fin et sportif de l'avocat et il accepta de boire un double espresso, synonyme d'une volonté de mener une discussion longue et fructueuse. Noé laissa l'avocat d'affaires lui donner les éléments qu'il lui avait réclamé l'avant veille et fit mine de prendre quelques notes au fur et à mesure que le power point défilait sur le mur du fond. A en juger par le ton et l'enthousiasme de Deblaix il ne pouvait pas se tromper. Ce projet était bien ficelé. Et cette présentation n'était pas la première. Il se demanda un instant combien de banques avaient reçu Deblaix et combien étaient toujours intéressées. Rien de nouveau cependant vint s'ajouter à la présentation informelle qu'il lui avait fait. Lorsqu’il en vinrent aux données pratiques, il nota le premier élément nouveau. La surface foncière était dorénavant présentée comme en totalité la propriété de la SCI porteuse du projet. Quand Noé lui demanda comment ils avaient pu régler les choses en 72 heures, il vit le regard de l'avocat pétiller et sa réponse en disait plus long à Noé que celui ci pouvait le penser. Par le fait même de la nature évasive de la réponse. Une histoire de droit de succession qui se soldait enfin par un compromis de ventes. Quand Noé lui demanda si cela portait sur un fort pourcentage de la surface globale, Deblaix, en confiance, lui montra au laser rouge la parcelle concernée. C'était en effet rien. Le terrain d'une maison individuelle tout au plus. Noé nota le numéro sans le dévoiler et l'invita à enchaîner sur les financeurs. Cette fois, le nom de Jourdain était écrit noir sur blanc. Ainsi qu'un autre, issu d'un Hedge fund londonien spécialisé dans les parcs d'attraction. Le magnat des affaires locales, François Herbelin ayant tout bonnement disparu. Il laissa passer. Deblaix insista longuement sur le hedge fund, en brossant un portrait complet, avec ses réussites, ses échecs et l'homme qui lui avait fait doublé son capital propre depuis 2008. Noé ne releva pas la tête de ses notes tout le temps de l'hagiographie censée montrer la valeur du projet par la valeur des investisseurs. Il préféra lui demander plus d'informations sur les 5% restants. Notamment sur leur localisation. Il prétexta que le partenariat avec le centre thermal de La Roche Posay n'étant pas envisagé, il serait judicieux , par le biais des petits porteurs, de faire valoir l'engagement régional. Deblaix lui affirma que tel était bien le cas avant de révéler une légère hésitation au moment d'aller plus avant. Noé sourit. Il lui glissa un « mais » qui le remit en confiance. Il lui exposa la nature de ses petits porteurs. Ou à tout le moins une bonne partie. Il s'agissait d'investisseurs différents de ceux auxquels étaient habitués le Crédit Populaire. Noé fronça les sourcils et lui posa la question. - Ont ils au moins fait l'objet de votre part d'une enquête de probité ? - Oui - Mais... - Leurs fonds sont 100% propres et nous nous portons garants de leur fiabilité au même niveau - Ils ne peuvent le faire eux mêmes ? Ce ne sont pas de petits épargnants ? - Si, si, mais... L'avocat s'était maintenant rassis et le soleil de la baie ne pouvait cacher son embarras et le voile qui courait sur son regard. - C'est Jacquet qui s'en porte garant c'est ça ? - Non, non c'est notre cabinet, eux ne pourraient pas, ils... - Ils ont été clients de votre associé. - Oui. Noé fixa l'avocat droit dans les yeux. Il y attendait l'assurance. La garantie évoquée. Il n'eut que le reflet brillant du soleil. - Bon. S'ils sont réinsérés, j'y vois même un avantage et un levier de communication supplémentaire. Par contre je veux leur pedigree, les délits qu'ils ont commis, les peines purgées, le lieu de réinsertion et les fonds investis. A l'eurocent près. Et leur listing complet. Deblaix voulut dire quelque chose mais se ravisa au moment Noé se levait, mettant un terme à l'entrevue. C'est au moment de le saluer qu'il lui avoua que toutes ces informations demandées n'étaient pas en sa possession. Seul son associé les possédait, couvert par le secret professionnel. Il lui remit néanmoins, en gage de bonne foi, le listing complet des actionnaires minoritaires et le numéro de portable de Claude Jacquet avant de quitter le bureau. Leur poignée de main fut franche.
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Les actionnaires minoritaires
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