La lumière faiblissait rapidement à cette époque de l'année. Le terrain de sport du Jardin des Plantes , coincé entre le Clain et le boulevard intérieur subissait de plus l'ombre prégnante des grands arbres qui l'encerclaient. A 16h30 ce jeudi, la nuit était presque là. Les quelques sportifs avaient depuis une bonne demi heure déserté les lieux. Le froid commençait à s'y faire mordant. Le revêtement en ciment semblait instiller le froid jusque dans les jambes des quelques courageux qui restaient. Leurs doigts engourdis continuaient à se passer la balle et à tenter de marquer un panier de plus que l'équipe adverse. Le dernier panier, celui de la victoire, inscrit, les gagnants saluèrent leurs adversaires malheureux et s'empressèrent de mettre gants et bonnets pour rejoindre l'abri bus. Les perdants continuèrent à shooter avec leurs ballons respectifs jusqu'à ce que la nuit soit installée. Karim, Stéphane et Noé avaient joué tout l'après midi jusqu'à perdre le dernier match. Leurs corps fatigués avaient cependant réussi à évacuer toxines et stress. C'est apaisés et détendus qu'ils finirent par s'avouer définitivement vaincus et allèrent se poser derrière les arbres protégeant le terrain du vent sur la rive gauche de la rivière. Emmitouflés dans leurs survêtements, ils profitèrent en silence du ronflement des eaux du Clain, se recroquevillant au fur et à mesure que le froid les saisissaient un peu plus. En aval du trio, Karim repensait à ces derniers jours la solitude lui avait pesé plus encore. Cela faisait un moment qu'il n'avait personne dans sa vie, et avec la mauvaise saison présente, l'impression d'être seul au monde était encore plus prégnante. Au moins avait il son travail. Cela lui fit penser à Jocelyne Bosquet. Son corps avait été enterré deux jours plus tôt, après que son compagnon ait rempli les formalités et assumé les frais funéraires. Son cousin n'avait même pas pris la peine de se déplacer. Et ses filles n'avaient peut être pas revu leur mère depuis son saut. Il se dit que c'était certainement mieux comme cela. Le travail des thanatopracteurs du CHU pouvait être exceptionnel mais il ne pouvait masquer ce que la vie vous avait infligée. Ses jambes, sa boîte crânienne avait demeuré mutilé. Un tel acte ne pouvait pas laisser votre corps indemne. Bizarrement, son esprit pensa au viaduc. Il avait vu dans le rapport d'enquête que c'était lors de son inauguration qu'elle avait sauté. Il se demanda si la presse s'était fait écho du désespoir de Jocelyne, comme si la population y avait vu un présage de ce qu'il pouvait devenir. Il se tourna alors vers Noé, plus au fait de ce genre de choses, et lui posa la question. - Tu étais à l'inauguration du viaduc, Noé ? - J'y étais. Un avocat d'affaires m'avait invité. Petits fours trop mous et champagne trop froid. - Il ne s'est rien passé quand tu y étais ? - Non. Non rien qu'un bus qui roulait sur un assemblage de béton dernier cri après que le maire ait coupé le ruban. - Ben y'a eu un suicide juste après. Une femme. Elle est morte dans mon service - Oh. Elle est morte ? J'étais là, si. Juste à côté d'elle quand elle a sauté. Personne avait rien vu. Et personne n'a rien pu faire. - J'ai vu le résultat trente mètre plus bas. Pas joli joli. - Tu étais là toi aussi ? - Ouais, j'avais rendez vous. Je suis passé au mauvais endroit au mauvais moment. C'est moi qui ai prévenu les secours. - Merde. Tous les trois réajustèrent en même temps leurs capuches et rapprochèrent leurs pieds du ballon qui isolait leurs fesses du froid de la berge. Tous les trois pensaient à cette étrange jeu du Destin qui les avaient rassemblé autour de cette tragédie. La vie est bizarre pensèrent ils de concert. Noé releva le premier la tête, soufflant lui aussi dans ses mains et décida de changer de sujet. - T'avais rendez vous pour quoi ? Tu cherches un vrai travail ? - Peut-être, un pote veut me brancher sur un placement d'argent. - Un placement d'argent ? - Ouais. D'ailleurs tu t'y connais en contrats immobiliers ? - Vaguement. C'est quoi ton problème ? - Ben quand tu fais partie d'une SCI, est ce qu'on peut te garantir des bénéfices fixes ? - Ça dépend. C'est pour quoi faire ta SCI ? Louer un immeuble ou construire un casino ? - Ni l'un ni l'autre, j'ai pas tout compris mais ce serait pour une sorte de centre de thalasso - De thalasso ? Où ça ? - A côté du Futuroscope. - Non ! Ce ne serait pas Thibault Deblaix ton contact ? - Ben non, C'est Big O. Honoré Diakhité, tu sais, le gars qui étais pour mon déménagement - Honoré Diakhité ? Un grand black crâne rasé et costume impeccable ? - Ben ouais, quoique pour le costume ça dépend des jours. Pourquoi ? Tu le connais toi aussi ? Karim ne put pas cacher sa surprise. De son côté, l'étonnement de Karim piqua la curiosité de Stéphane qui se tourna vers lui, manquant de glisser de son ballon. - Comment tu le connais ? Je crois pas te l'avoir présenté. - C'était le compagnon de la femme qui s'est jeté du Viaduc. Jocelyne Bosquet. - Merde. - C'est lui qui a réglé tous les papiers, payé son enterrement. Là, ce fut Noé qui se redressa. - Attends, attends, quels droits de succession ? Et où ? - Ben je n'en sais que ce que j'ai vu avec le policier. Elle possédait un terrain et une maison qu'elle avait fait construire avec son ex mari à Jaunay Clan et ce serait quand votre Big O lui aurait proposé de venir vivre avec lui qu'elle aurait plus ou moins sombré. Jusqu'à l'irréparable. - Vivre avec lui ? Big O habite une petit T2 des Couronneries ! Karim resta interdit. Subitement, le fantôme de Jocelyne Bosquet devint presque palpable et le mot qu'elle avait laissé prenait un tout autre sens. « Ne lui pardonnez jamais ». - Ton Deblaix, il ne serait pas avocat pénaliste ? - Non, pas à ma connaissance même si je crois que son cabinet traite aussi ce genre d'affaires. Pourquoi ? - Parce que Big O a eu le tuyau du placement par un type qui le tient de son avocat. - T'as le nom ? - Euh...Jacquet, je crois. Noé sortit son smartphone de sa poche de survêtement et lança une recherche dans ses contacts pour découvrir le nom associé à celui de Deblaix dans son répertoire. - Merde. C'est lui. - Vous croyez qu'elle ait pu se jeter du viaduc pour...pour éviter un projet immobilier ? - Je crois rien, Karim. Je constate juste qu'autour d'elles des gens louches gravitaient de très près. - Et autour de nous on dirait bien , maintenant. - Exact, Stéph'. Exact.
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