Stéphane avait pour mission de savoir ce que Big O faisait avec Jocelyne Bosquet. Après l'avoir appelé plusieurs fois en vain, il avait décidé de lui rendre visite. L'appartement de Big O se trouvait au 12eme étage d'une des tours carrées clôturant la bordure est des Couronneries. C'était une des 4 plus hautes de l'ensemble que composait la ZUP. Et l'une des rares à jouir d'une relative tranquillité. Stéphane s'y présenta peu après 21heures ; le lendemain du conciliabule avec Noé et Karim. La nuit était d'un noir de jaie et la brume automnale rendait presque ses mouvements huileux. Une sorte de torpeur emplissait son corps et l'engourdissement de la ville avait réussi à pénétrer jusque sur ses hauteurs. Personne n'attendait qui que ce soit dans le hall d'entrée de la tour. Stéphane essaya une fois puis deux de contacter Big O sur l'interphone central. Après 5 minutes sans réponse, il appuya sur une dizaine de boutons en même temps et la gâche de la porte d'entrée retentit. Il poussa la porte et alla directement à l'ascenseur. Il ne mit guère plus d'une minute pour gravir sans effort les 30 mètres qui le séparait du sol jusqu'au palier de l'appartement de Big O. Lorsqu'il tenta d'y faire venir la lumière , il dut constater que l'interrupteur était cassé. Ou que toutes les ampoules avaient besoin d'être changées. Il se laissa quelques secondes pour s'habituer à la pénombre et s'avança ensuite dans le couloir. Il arriva presque à tâtons jusqu'à la porte d'entrée du n°1221 et frappa une première fois discrètement. Son appel restant sans réponse, il frappa une seconde fois plus fort puis il tendit l'oreille pour tenter d'entendre ce qui se passait dans l'appartement. Il n'entendit rien et sortit son téléphone portable. La lumière froide de l'écran l'éblouit presque. Il sélectionna Big O dans ses contacts et lançant la composition du numéro. Sans mettre son téléphone à l'oreille il écouta si la sonnerie ne retentissait pas de l'autre côté de la porte. Devant le silence toujours intact, Stéphane repensa à son échange quelques heures avant avec Karim. Il revenait du domicile du cousin de Jocelyne Bosquet et sa voix trahissait son inquiétude. Il était évident que Big O était un compagnon très présent pour Jocelyne, même maintenant qu'elle avait disparue. Et à en croire Karim, son empressement ne portait pas tant à la garder en mémoire qu'à effacer son empreinte sur ce qu'elle avait acquis ou construit. Pour Karim, il ne faisait pas de doute qu'il œuvrait directement et promptement à la vente de leur maison. Et à en croire Noé, cette attitude n'avait rien de désintéressée. Bien que celui ci n'ait pas pu lui en dire plus sur l'implication ou non de Big O dans le projet immobilier qu'il traitait, il avait néanmoins pu lui dire que la maison et le terrain de Jocelyne était dorénavant propriété du plus gros promoteur immobilier du département et d'un fond d'investissement à priori sans foi ni loi. Cela avait suffi à Stéphane pour comprendre que Big O lui devait une explication. Malheureusement, comme il avait échappé au regard de Karim, il échappait maintenant à ses questions. Stéphane savait aussi que contrairement à ses amis qui œuvraient pour établir une malversation ou laver l'honneur d'une défunte, lui se trouvait de l'autre côté. Il avait failli investir son argent. S'impliquer dans cette même malversation. Big O lui devait une explication. Et surtout une preuve tangible de sa probité si tant est qu'un jour elle ait existée. Dans la pénombre du couloir il se décida définitivement à agir. Il sortit son trousseau de clé et prit celle que Big O lui avait donné il y a quelques temps et ouvrit la porte de l'appartement. Une forte odeur de marijuana le saisit et il se retint presque de tourner la tête. Il fit la lumière dans la pièce principal et découvrit l'endroit comme il le connaissait. Le canapé était marqué de nombreux trous de boulettes de haschich, une pipe à eau trônait de guingois sur la table basse en verre et le sachet d'herbe qu'il lui avait acheté était bien entamé. A ses côtés, de la bouteille de rhum Bacardi était presque vide. Les papiers qu'il lui avaient montré était juste dans leur prolongement et Stéphane s'avança pour s'en saisir. Tous était estampillé FIP et reprenait les noms de Jourdain et Hatcliffe. Stéphane en déduit qu'il s'agissait des actionnaires majoritaires du projet qu'il s'apprêtait à financer. Il balaya la pile de feuillets sans en trouver autre chose qu'une suite de compromis de ventes foncières. Aucune ne faisait mention de Jocelyne Bosquet. Il s'apprêtait à appeler Karim pour qu'il lui donne le nom marital de Jocelyne lorsqu'il lui sembla entendre un crissement émaner de la salle de bain. Il arrêta son mouvement, le téléphone prêt à lancer l'appel. Un deuxième crissement se fit entendre. Il sortit son cran d'arrêt de sa ceinture et éteignit la lumière, ses sens aux aguets. Sans faire de bruit, il se dirigea vers sa droite, à l'entrée de la salle de bain de l'appartement, et tendit l'oreille. Un troisième crissement lui parvint. Sans réfléchir il ouvrit brutalement la porte et tenta de voir ce qui s'y trouvait malgré la pénombre. Des gémissements terrorisés l'accueillirent et il sut qu'il n'aurait pas besoin de faire usage de violence. Deux fillettes le regardaient avec des yeux irradiés de terreur. Il leva les mains et se pencha à leur hauteur. Elles reculèrent instinctivement et il vit qu'elles étaient pieds et poings liés. D'une voix douce, il leur dit qu'il ne leur ferait pas de mal. Qu'il venait les libérer. Il détacha le bâillon de la plus grande et ses poignets. Elle prit aussitôt sa sœur dans ses bras en tentant de la protéger. Devant son regard plein de fureur, il ne tenta pas de les séparer et comprit qu'il devait maintenant appeler les secours.
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