Big O fixait Stéphane avec insistance. Il attendait une réponse que Stéphane ne voulait pas encore lui donner. Aussi, sirota t il avec calme son cuba libre et le laissa appuyer son regard comme il lui plaisait. Alors qu'il s'enfonçait un peu plus dans ce qui ressemblait aux yeux de Stéphane à une extorsion. Big O inspira profondément, vida son Tipunch puis se renfonça dans son fauteuil et ralluma son joint. Stéphane finit son verre puis se leva pour ouvrir la fenêtre de la salle de séjour de son appartement. La nuit était fraîche et l'appel d'air le dégrisa légèrement. Devant lui, quelques lumières brillaient encore dans les appartements de la résidence qu'il occupait. A cette heure ci, presque minuit, Saint Eloi était d'un calme apaisant. Il se tourna vers l'intérieur et contempla Big O. C'était un géant. Un peu plus de deux mètres, une musculature d'athlète de haut niveau et un regard de guerrier. Néanmoins à cette heure ci et après les trois joints qu'il avait fumé, son yeux était plus rouges que noirs et son regard bien moins perçant qu'éteint. Son corps était avachi en dessous, complètement décontracté et le fauteuil de salon, dans lequel Stéphane arrivait à se perdre, ressemblait à une chaise d'enfant tant la masse de Big O s'y épanchait. Rien à voir avec l'allure d'homme d'affaire qu'il avait voulu se donner 48 heures plus tôt. Dans l'office notarial, il avait eu le regard perçant et la tenue proactive de celui qui règle les affaires. Et cela avait suffi à Stéphane pour saisir qu'il avait quelque chose de sérieux à traiter. Big O, de son vrai nom Honoré Diakhité, lui avait fait part d'un projet très sérieux dans lequel l'argent qu'il investirait lui reviendrait plus blanc que les neiges d'Arctique. Cela avait fait rire Stéphane au début et il lui avait simplement fait remarquer que Scorcese avait tourné Casino il y pratiquement vingt ans et que son affaire n'avait rien à voir avec celles de la Cosa Nostra. Depuis Stéphane avait fait ses comptes. Entre les billets verts, jaunes et violets stockés dans les garnitures de son mobilier de salon et le solde de son compte, il sut que Big O ne lui avait pas proposé cela par hasard. Pendant 48 heures, il avait mûri ce qu'il avait entendu. Cela faisait longtemps qu'il dealait. Peut-être trop longtemps même. Et souvent il avait pensé, quand les choses tournaient mal, qu'il fallait raccrocher. Alors peut-être que l'offre de son partenaire était l'opportunité qu'il lui fallait avant qu'il ne soit trop tard. Il avait donc rappelé Big O et avait écouté plus sérieusement ce qu'il lui avait présenté. Et il avait saisi deux choses. Un, qu'il était tout à fait en mesure d'investir la somme demandée sans se mettre à sec en cas de fiasco et deux, qu'il n'avait pas besoin d'en savoir davantage que ce que Big O lui avait dit. La vie lui avait suffisamment appris que les innocents étaient bénis pour qu'il cherche à le rester au maximum. Big O lui avait donc envoyé les formalités administratives et était venu fêter son investissement avec une bouteille de Bacardi. Ils avaient bu deux verres, Big O avait fumé un joint de la meilleure herbe de Stéphane et ils avaient sorti stylo et papiers. Quand il avait commencé à lire, Stéphane était déjà un peu gris. Ils avait lu en diagonale les présentations mais son esprit n'avait pas pu s'empêcher de se concentrer quand il fut question de responsabilité de l'acquéreur, de tiers vendeur au nom inconnu, de garanties hypothécaires, de souscriptions solidaire d'assurances, d'engagement à recouvrement de fonds en cas de saisine et surtout de gel du capital. Big O lui avait alors expliqué que tout cela n'avait rien de louche. Que c'était le jargon des affaires et que le gel ne concernait que sa mise pas les bénéfices annuels. Il avait alors allumé le deuxième joint, bu d'une gorgée son tipunch et pris les documents des mains de Stéphane faisant voler les feuillets jusqu'à la dernière page qu'il mit devant lui, le doigt planté sur le dernier paragraphe, Stéphane lut que dès l'année prochaine il recevrait quoiqu'il arrive 10% des bénéfices évalués à 15% du capital global. Il suivit ensuite le gros doigt de Big O jusqu'à l'alinéa de bas de page qui précisait que le fond d'investissement majoritaire garantissait aux détenteurs de moins de 2% du capital un rendement de 5% annuel minimum dès la première année. C'est que Stéphane avait posé la question qui le taraudait depuis leur rendez vous à l'Office Notarial. Qui était l'actionnaire majoritaire ? Big O l'avait alors regardé, et comme exaspéré, lui avait dit qu'il savait comment ça marchait, que c'était un type qu'il connaissait qui avait eu un avocat pour une affaire de recel qui lui avait parlé d'un moyen de rester dans le droit chemin, que le type était de confiance tout comme l'avocat suffisamment propre pour être fiable. Quant à l'actionnaire, aucun des deux ne le connaissait et on s'en battait. Il accompagna son « tout ce qui compte, c'est ça » d'un claque sur le document comme pour lui faire comprendre que ce n'était pas en les couchant par écrit que les bâtons foireux se faisaient. C'est qu'il s'était mis à se renfrogner et à le fixer nerveusement avant de finir son troisième joint. La pièce se désenfumait toujours lorsque Stéphane revint s’asseoir devant son verre, le contrat et son stylo. Il sut alors qu'il ne signerait pas. Il regarda Big O s'avachir un peu plus et décida qu'il lui devait de le dire. - Écoute O, faut encore que je réfléchisse - Putain Stéf t'es con ou quoi, c'est un truc en or que je nous ai dégotté - Nous ? - Ouais nous, j'ai déjà signé - Ah ouais ? Face à l'air bête de Stéphane, Big O, se redressa faisant étalage de sa stature au moment d'écraser le filtre du joint devant son verre et poussa son avantage. - Bien sûr que j'ai signé et je te dis d'en faire autant, le baveux il a d'autres types comme nous dans la manche et ce sera les plus réactifs qui remporteront le deal, alors signe - Dis moi que t'en sais plus - Je sais que dalle de plus et tu sais comme moi que c'est mieux comme ça - T'as mis combien ? - Tapis - T'es barjot ! - Non, confiant et sûr de moi - T'es barjot. Le visage stone de Big O exprima alors une profonde lassitude lorsqu'il se leva sans oublier de reprendre sa bouteille de Bacardi et le sachet d'herbe qu'il avait payé. - Écoute Stéf, j'ai investi plus que de la thune dans ce plan, et tu peux me croire c'est du lourd. Je te laisse jusqu'à demain dix heures, après je passe à autre chose.
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