Karim, Noé et Stéphane s'étaient mis d'accord sur plusieurs points qu'ils se devaient d'éclaircir. Conscients que prévenir la police les mettraient dans une situation embarrassante autant que suspecte, ils avaient décidé de commencer par trouver des réponses seuls. Avant toute chose, il leur avait paru important de savoir si, oui ou non, la maison de feu Jocelyne Bosquet était bel et bien vendue. Si tel n'était pas le cas, ils sauraient alors qu'ils avaient simplement confondus la réalité avec le fil de leurs pensées. C'est Karim qui fut chargé de cela. Il connaissait mieux que Stéphane et Noé la défunte et pouvait se prévaloir, pour entrer en contact avec sa famille, du soucis de savoir ce que devenait ses filles. Des affaires retrouvées dans son service fut le moyen de rencontrer celles ci et celui qui en avait la charge pour le moment, son cousin, Marc Haudet. Marc Haudet travaillait à la laiterie de Civray et, contraint par le rythme des trois huit, leur rendez vous devait avoir lieu assez tard dans la soirée du lendemain. Bien qu'il fut courtois lors de leur échange téléphonique, Karim sentait que son appel et sa visite dérangeait Marc Haudet. De toute évidence, il attendait que l'ex mari vienne reprendre ses filles pour retrouver sa vie. Karim apprit ainsi que Marc était marié et père d'un enfant en bas âge et que les filles, bien qu'elles n'y soient pour rien, bouleversaient par trop l'équilibre fragile de sa maison. Lors de leur entretien, il n'eut pas un mot pour sa cousine décédée ; tout juste remercia-t-il Karim lorsqu'il lui présenta ses condoléances, amenant Karim à conclure que Jocelyne n'était en rien une personne qui avait compté dans la vie de son cousin. Cet état de fait se confirma lorsqu'il entra dans le pavillon de Marc Haudet. Bien qu'il n'eut pas de mal à trouver la zone pavillonnaire, non loin du Super U à l'entrée nord de la ville, il dut faire deux fois demi tour dans des impasses avant de pouvoir se garer devant la maison, qui ressemblait exactement aux deux autres mitoyennes. L'intérieur était propre et sentait le désodorisant anti tabac. Blanc et lumineux, Karim en déduit qu'il était construit depuis peu et que l'emménagement ne datait pas de longtemps non plus. Des cartons pliés dans le hall d'entrée, attendant de partir à la déchetterie, validait cette impression. C'est une fillette d'à peine dix ans qui lui ouvrit la porte. Il n'eut aucun doute sur ses origines tant son visage et surtout la texture de ses cheveux bruns ressemblaient à ceux de Jocelyne. Elle eut un sourire triste lorsqu'il se présenta et disparut en s'excusant pour aller chercher son grand cousin. L'homme était grand et svelte, musclé par les efforts que nécessitait son travail à la laiterie. Il avait le visage couvert par une barbe mal taillée et des yeux noirs légèrement enfoncés sous un front luisant. Il s'excusa de sa tenue il était en train de refaire sa salle de bain- et l'invita à prendre place dans la salle de séjour, autour de la table à manger. Après avoir décliné un verre de pineau, Karim s’assit face à la baie vitrée donnant sur le jardin situé derrière le pavillon et regarda son interlocuteur préparer leurs cafés avec la machine à expresso posée sur le bar américain. Quand il revint s’asseoir, il lui sembla que l'homme était rassuré et ouvert à une série de questions. Karim commença par s'excuser de cette visite peu commune et lui remit les effets que Jocelyne avait laissé derrière elle à l’hôpital. Il les prit sans y jeter un regard et appela la fillette qui avait ouvert la porte à Karim en lui disant de les emmener dans le débarras. Des pleurs de bébé se firent entendre au moment Karim allait prendre la parole et Marc Haudet quitta la table en ronchonnant pour gravir l'escalier à la droite de la table du séjour. Peu de temps après, il le vit redescendre avec un nourrisson dans les bras. En tentant d'apaiser ses pleurs, il lui prépara un biberon puis revint s’asseoir devant Karim. Ce fut lui qui prit la parole en premier. - Vous voyez ? Elle n'a pas pensé à ceux qui restait, comme toujours. - Je crois qu'elle n'a jamais pensé à quoique ce soit d'autres qu'elle. Je suis désolé de vous dire ça mais depuis une semaine la vie à la maison devient impossible. Ma femme travaille, je travaille, le bébé réclame toute notre attention . Ces pauvres filles ne savent pas ce qui leur arrive. - Vous êtes entré en contact avec leur père ? - Oui, oui. Enfin... c'est plutôt son dernier mec. - Son dernier mec ? Une grand noir, Diakaté ou Dikaté, je ne sais plus Diakhité ? Honoré Diakhité ? - Ça doit être ça. Encore heureux qu'il est là, lui. - C'est vrai, qu'il a été présent jusqu'au bout. Et plus que ça ! Moi j'ai pas le temps de m'occuper de toute cette paperasse. C'est ma femme qui gère ça à la maison, et elle ne veut pas s'en occuper si bien que quand il est venu avec tout de réglé, on a été soulagé - Oui, je comprend. Vous ne vous voyiez pas beaucoup avec votre cousine ? - On peut pas dire qu'on était proche. Ses parents ont chassé les miens de la ferme. Le droit d’aînesse. Depuis, mes parents ont coupé les ponts et moi aussi depuis leur mort. Les traditions sont quelque fois mauvaises, vous savez. Karim laissa Marc Haudet ruminer et avaler son amertume quelques instants. Ce qu'il venait de lui dire ne faisait que confirmer ce qu'il savait. Ce cousin n'avait rien d'un proche. Et les histoires de famille ne sont en général guère reluisantes. Il ne voulait pas s'engager sur ce terrain, conscient qu'il risquerait de devoir y choisir un camp ou d'éveiller des soupçons sans fondement. Le nourrisson était maintenant calmé et Marc Haudet alla l’asseoir dans son fauteuil il ferma les yeux instantanément. Juste à la gauche de son champ de vision, il entr'aperçut la tête de la seconde fille de Jocelyne. Ses yeux étaient cernés et vides. - Quand l'ex mari de Jocelyne doit il venir récupérer ses filles ? - Il devrait déjà être là. - Ah bon ? - Oui, le grand black m'avait dit qu'il allait venir récupérer les filles aujourd'hui après être passé chez le notaire pour signer la vente de la maison. - Les filles vont partir à Paris, alors ? - C'est ce que j'ai compris, oui. La fillette qu'il avait vu vint se faufiler entre eux deux et chuchota à l'oreille de Haudet. Celui-ci acquiesça en l'embrassant sur le front. Karim vit alors la fillette passer derrière le bar et ouvrir le frigo elle saisit une bouteille de coca et se servit maladroitement un grand verre. Quand elle en eut but la moitié elle le regarda le visage lumineux. Marc Haudet la regardait lui aussi, le visage plein de compassion et d'empathie. Il reprit la parole. - Elle seront mieux bas, d'ailleurs. Je me dis que c'est un nouveau départ pour elle. Elles ne comprennent pas pour l'instant, mais Thomas est un type bien, il saura gérer cela. - En tout cas, malgré vos contraintes, il pourra vous remercier - Oh, je ne suis pas si désintéressé que vous. J'ai eu droit à une aide en quelque sorte. Le black m'a versé une somme en échange d'un coup de pouce pour la vente de la maison. Karim ne poussa pas plus loin la conversation. Cachant son envie de partager sa découverte, il échangea alors quelques instants avec son hôte avant de prétendre devoir prendre son service. Sur le pas du pavillon, ils se serrèrent la main comme un 4x4 vint se garer à côté de la clio de Karim. Marc Haudet lui dit que c'était Thomas Bosquet. Karim lui présenta toutes ses condoléances en même temps que Haudet l'introduisait et lui expliquait le but de sa visite. Thomas Bosquet le remercia d'avoir pris la peine d'apporter les derniers effets de Jocelyne et ils échangèrent une nouvelle fois une poignée de mains. Karim prit alors congé d'eux et rejoignit sa voiture alors qu'une pluie fine commençait à tomber et que des rafales de vent mordaient son visage. Dans sa voiture, il vit le regard des filles de Jocelyne le fixer froidement comme il appelait Stéphane.
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