Le Bistrot du Boucher ressemblait à cette heure de la journée à une véritable ruche. Le bourdonnement des conversations, les allées et venues des serveurs, faisaient de ce lieu un endroit plein de vie et d'activité. Noé y était attablé près de la fenêtre donnant sur la rue Carnot et jetait de temps à autre des regards par delà la devanture pour chercher un peu de calme. La rue, elle, était quasiment déserte et seuls quelques passants flânaient devant ses yeux. En face de lui, Maître Olivier Jacquet semblait beaucoup moins tranquille. Arrivé avec un bon quart d'heure de retard à leur rendez vous, il semblait encore être en retard ou pressé. Noé avait pourtant accepté ses excuses et lui avait proposé de goûter à un scotch fameux de la réserve du bistrot. Bien qu'il ait décliné, Noé avait cru que cela allait le rendre plus calme et peut être plus réceptif. Tel n'avait pas été le cas. Il avait déjà été difficile pour Noé de décrocher cet entretien et il lui avait fallu compter sur la sagacité de sa secrétaire comme sur le lobbying de Deblaix pour que celui ci ait lieu le jour même. Bien que Jacquet ait prétexté que tout était en règle et qu'il ne pourrait lui fournir plus de renseignement ou d'information sur un projet qui était géré en totalité par son associé, le ton persuasif et autoritaire de Noé avait quand même eu gain de cause. Depuis, Noé n'avait pu que constater que l'avocat était en état de stress et surtout, qu'il ne lui donnerait aucune autre information supplémentaires. Pour lui, ce listing n'apportait rien et, surtout, ne faisait état d'aucune malversation ni même d'une quelconque moralité douteuse quant aux actionnaires minoritaires du projet. Le repas passa donc entre civilités, échanges sur la vie pictave et quelques autres banalités sans importance. Néanmoins, Noé ne put que noter la fébrilité de son interlocuteur et sa fâcheuse tendance à répéter les mêmes gestes agaçants. Réajustement du nœud de cravate, de la veste de son costume, consultation de son smartphone , autant de gestes qui parasitaient leur conversation et empêchaient Noé de pouvoir poser la question qui le taraudait. C'est au moment du café qu'il abattit son jeu, tentant le tout pour le tout. L'avocat semblait avoir déjà quitté mentalement leur rendez vous et s'être projeté dans le reste de sa journée. Ses tics s'étaient calmés et il passait son temps à chercher alentour un serveur afin de réclamer l'addition. C'est en tout cas ce que pensait Noé. Avant qu'il n'ait pu solliciter l'un d'entre eux, il se lança. - Ce sont vos hommes de mains c'est ça ? - Pardon ? - Les actionnaires minoritaires, ils font le sale boulot pour finaliser le projet, n'est ce pas ? - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, écoutez, tout cela, je vous l'ai dit c'est l'affaire de De... - La parcelle 271 n'était pas vendu avant que Diakhité, dit Big O, ne s'en charge. Il est dans le listing. Je répète ma question. Ce sont vos hommes de mains ? - Qu'est ce que...Pour un banquier M. Ouedraougo, vous possédez un sens de l'imagination développé. C'est rare. Mais non, ce monsieur n'est qu'un des actionnaires qui ont accepté de valoriser leurs actifs dans ce projet. - Connaissez vous Jocelyne Bosquet ? - Non - Jocelyne BOsquet, née Moredon - Pas plus Noé se renfonça dans son fauteuil. Il ne dirait rien parce qu'il ne savait pas. Il ne connaissait pas Jocelyne, ne savait même pas qu'elle s'était suicidée et encore moins que Big O jouait un jeu trouble autour d'elle avant et depuis sa mort. Il connaissait simplement le montant des actifs qu'ils investissaient. Et la manière dont il souhaitait les voir fructifier. C'est la qu'il saisit. - Savez vous au moins si l'un d'entre eux a eu vent de votre tour de passe passe ? - Comment ça ? Quel tour de passe passe ? - Allons Maître, je suis banquier, vous l'avez dit, je sais reconnaître une extorsion de fonds - Je ne vois pas ce que vous voul... - Vous avez rassemblé les fonds versés par les actionnaires minoritaires et les avez placés sous le nom de votre cabinet en prétextant que c'était la seule manière que vous ayiez pour que les banques ne posent pas trop de questions à leur sujet. Et ils ont accepté. Ce qu'ils ne savent pas encore c'est qu'ils ne peuvent plus en jouir ou en disposer comme ils le veulent. Ça ressemble à un don, c'est d'ailleurs certainement ce que vous leur avez dit. Mais c'est une extorsion, je peux vous le garantir. Ce fut à l'avocat de s'enfoncer dans son fauteuil. A la manière dont il ne pouvait s'empêcher de le fixer, entre deux clignements de paupières nerveux, Noé sut qu'il avait touché un point sensible. Il décida alors d'enfoncer le clou mais l'avocat réagit plus vite. - Bon je crois que cet entretien est terminé . Je crois qu'il vaut mieux que nos pourparlers s'arrêtent M. Ouedraougo. Cet entretien est terminé et je dirais à mon associé de ne plus vous contacter. Comme je vous saurai gré de bien vouloir nous remettre tout les éléments du projet en votre possession. Et je ne tiendrais pas compte des allégations malveillantes que vous portez à notre égard. Noé regarda l'avocat se lever et quitter la table sans même pouvoir dire quoi que ce soit. Il le suivit du regard jusqu'au comptoir régler l'addition. Même quand il dut se contorsionner pour ouvrir la lourde porte de l’établissement il ne se retourna pas. Noé sentit un frisson le parcourir. Il venait certainement d’hypothéquer sa carrière en prononçant des propos diffamatoires contre un client potentiel. La glace et le froid semblait être devenu son environnement. Et il ne savait pas comment réparer cela ni même s'il le pouvait. Il ramassa son attaché case, enfila sa veste et décida d'aller préparer sa défense au cas où il aurait à en faire usage. Son smartphone vibra dans sa main comme il s'apprêtait à régler sa part du repas. Il fit signe d'attendre au serveur et regarda son téléphone. C'était Karim. Il décida, au vu des dernières minutes, que celui ci pouvait attendre. Il régla donc le serveur, le remercia et sortit du Bistrot. Dehors, son téléphone vibra à nouveau et il commençait à prendre connaissance du message qu'il lui annonçait lorsqu'une main lui saisit le bras. Il releva la tête et vit un homme d'une trentaine d'années qui prit la parole avant qu'il n'ait pu se défaire de sa poigne. - M. Ouedraougo, inspecteur Chavet, nous aurions quelques questions à vous poser.
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