La gorge de Stéphane le brûlait terriblement. Chaque déglutition était un supplice et l'absence de salive rendait le geste encore plus douloureux. L'odeur d'urine et d'excréments emplissaient ses narines, bien que les fenêtres de la pièce il était furent ouvertes. Une odeur moins commune pour lui se mêlaient à l'air nauséabond. Celle du sang. Ferrique et âpre, elle ne lui laissait que peu d'espoir quant à ce qui l'attendait. Il tourna la tête vers le mari de Jocelyne comme pour s'en persuader. Le corps de Thomas Bosquet était affaissé sur la chaise de cuisine et l'urine et les selles maculaient ses pieds. Le sang coulait de sa bouche, épais et noir. Ses yeux n'étaient plus que deux boursouflures tuméfiées et suintantes. Et son regard vide portait vers un point quelque part en deçà du bar américain. Stéphane avait assisté à sa mise à mort sans pouvoir faire quoi que ce soit. Big O avait déjà commencé son ouvrage lorsqu'il avait rejoint la maison de Jocelyne dans l'arrière pays de Jaunay Clan. La vie de Thomas Bosquet ne tenait plus qu'à un fil bien avant même, Stéphane le savait. Dès l'instant Bosquet avait exprimé son refus de vendre la maison qu'il avait fait construire et choisi de revenir prendre soin de ses filles, il avait lui même posé un contrat sur sa tête. Et Big O, Stéphane le savait maintenant, ne pouvait faire autrement que de l'exécuter. Il s'y était d'ailleurs employé avec une efficacité qui avait révélé à Stéphane une facette de sa personnalité qu'il n'aurait pu soupçonné. Le petit dealer un peu loser qu'il connaissait bien était aussi un tueur qu'il ne connaissait pas. Un tueur véritable. Sans une once d'humanité ni de remords au moment de mettre un terme à la vie d'un père de famille. Quand il s'en était pris à lui peu après qu'il les ait découvert dans la maison de Jocelyne, il n'y avait pas vu son camarade et partenaire, mais un bourreau. Il avait su d'emblée qu'il sortirait de la maison en y ayant laissé plus qu'un ami. C'est d'ailleurs sans familiarité ni connivence que Big O avait commencé à l'interroger. Il lui avait d'abord demandé ce qu'il savait et il s'était contenté de répondre la vérité. Le projet et sa place d'actionnaire minoritaire. Les fillettes dans son appartement. A l'évocation de ses dernières, Big O avait rugi et l'avait giflé pour la première fois, faisant éclater sa joue gauche. Stéphane s'était alors muré dans le silence, encaissant comme il le pouvait les cris et les coups. Big O dévoilait à chacun d'entre eux tout ce qu'il avait misé dans ce projet. Malgré tout, Stéphane ne pouvait y voir ce qu'il était mais ce qu'il espérait. L'argent, la reconnaissance, une vie sans galère à l'abri du besoin, clinquante si possible. Tout comme il comprenait que ses méthodes lui étaient dictées par ces aspirations. Cela n'excusait pas ce qu'il faisait, mais emplissait Stéphane d'une compassion qu'il ne pouvait nier. Quand les coups s'étaient arrêtés, victime de leur inutilité, et que Big O avait disparu sans doute pour réfléchir à la manière de lui infliger le coup de grâce, il eut pitié. Quand il revint avec une masse, il choisit alors de se rassurer avant de partir. - Qu'est ce que tu fous O ? Qu'est ce que tu fous avec ça ? Tout ça. - Je règle la question. - Arrête tes conneries. Tu règles rien. Tu cours après quelque chose qui n'existe pas - Ta gueule ! - Ça va venir. Mais laisse moi au moins te dire que tu n'auras rien d'autre que l'envers du décor maintenant. Et ce n'est pas ça que tu mérites. Et tout ça, tout ce qui est autour de toi, ce n'est pas toi non plus. C'est juste des conneries, O, juste des conneries. Big O voulut gifler Stéphane pour le faire taire mais un voile tapissa son regard. Il retint son geste un instant. Stéphane vit dans ses yeux les regrets et les remords d'une vie rythmée par l'injustice et la frustration. Et le doute que ses paroles avaient fait naître. Des paroles désespérantes pour un homme plus désespéré que monstrueux. La large main de Big O tomba le long de son flanc. Son regard fixait intensément ce qui restait de Stéphane. Quand il voulut parler, le bruit d'une voiture se garant en catastrophe devant le pavillon vrilla l’ouïe endommagée de Stéphane. Big O tourna la tête et quand il revint vers Stéphane il ne vit plus que le reflet d'une trahison qu'il n'avait pas commise. Il vit aussi l'acier du canon d'un revolver briller au poing de Big O. La détonation de l'arme vrilla ses tympans.
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