Le parfum entêtant et suave de la marijuana envahissait tout l'appartement de Stéphane. Cela faisait bien une demi heure que lui et Jérôme n'avait plus dit un mot. Entre les volutes de fumée visibles à travers les rais de lumière que laissaient filtrer les stores des fenêtres, ils voyaient des spirales se former à l'approche des baffles. Le rythme musical était lent et les paroles chargées de THC elles aussi. Tout concourait à ce que l'après midi finisse dans la quiétude et le délassement. Allongé dans le canapé, Jérôme avait les yeux fermés et, Stéphane crut un instant qu'il était l'incarnation même de Bouddha. Son ventre proéminent se soulevait silencieusement. Ses jambes atrophiées lui donnaient l'allure d'un pantin en lévitation. Son fauteuil roulant était renversé au pied du canapé, reste de la migration chaotique de son ami. Jérôme était venu comme à son habitude lui rendre visite et ils avaient échangé un long moment après que leur transaction commerciale avait été effective. C'était un homme brillant, fervent lecteur et toujours ouvert à de nouveaux horizons. Sa condition étant pour le moins propice à l'immobilisme, la plupart de ses voyages se faisaient le nez dans un bouquin ou le regard rivé à un écran. Il possédait ainsi une culture plus que solide. Au fil de leurs après midi, ils avaient vite partagé la même appétence pour les voyages immobiles. Depuis l'affaire Bosquet, Stéphane s'était rapproché de lui. Besoin d'introspection sans doute. De calme surement. Leur conversation du jour avait entraîné les deux fumeurs sur les séries télévisées, et très vite, il avait téléchargé celle dont Jérôme était épris depuis quelques temps. Une série anglaise brossant le portrait d'un gang de bookmakers de Birmingham dont le nom marquait leur singularité, Peaky Blinders . Stéphane n'avait pas décroché jusqu'au terme de l'ultime épisode, six heures plus tard. Jérôme avait cédé au bout d 'un heure, l'esprit gavé de THC et le dos enfin soulagé. Son ronflement presque félin avait de temps en temps troublé les dialogues avant que le générique de fin ne retentisse et que Stéphane bascule l'ambiance sonore sur sa chaîne stéréo. Il avait posé le reste de son joint dans le cendrier et s'était laissé bercer par la musique, le regard happé par la respiration régulière de son ami. Il connaissait Jérôme depuis peu mais avait tout de suite apprécié sa compagnie. C'était quelqu'un de doux que la vie n'avait pas épargné. Renversé par un poivrot il y a deux ans, il avait subi une longue rééducation et vivait aujourd'hui avec des douleurs quasi permanentes. C'était un ami en commun qui les avaient présenté. Il avait expliqué à Stéphane la situation de Jérôme. Tout comme sa souffrance et le fait qu'il trouve dans l'herbe le soulagement physiologique qui lui manquait. Intrigué par cette requête peu commune, il s'était un peu plus intéressé à ce qu'il vendait et avait vite découvert la nature, et les effets de la marijuana dont les médecins californiens se servaient depuis maintenant plusieurs décennies. S'en procurer avait été aussi simple qu'une bonne recherche sur quelques sites web spécialisés. Hydrozone, un peu de patience et des lampes à sodium dans le placard de sa chambre avait fait le reste. Voyant les résultats sur son client, Stéphane qui n'avait pas pour habitude de partager avec eux quoi que ce soit d'autres qu'une transaction monétaire, avait goûté lui aussi à cette herbe. Et très vite, les restes des blessures infligées par Big O avait trouvé un moyen de devenir supportable lorsqu'elles ne l'étaient plus. C'était bien la première fois qu'il trouvait un quelconque intérêt à partager avec ses clients leur addiction. La personnalité de Jérôme et leurs affinités avaient fait le reste. Alors que la musique marquait une pause entre deux titres, il l'entendit prononcer le prénom de sa copine dans son sommeil. Le son de sa voix ne laissait aucun doute sur la nature de ses sentiments. Et le fait qu'ils allaient emménager ensemble le lendemain ne laissait aucun doute non plus à Stéphane sur la personnalité de celle ci. Cela le réjouissait pour son ami. Il ferma les yeux pour tenter de se la représenter d'après ce qu'il lui en avait dit. Avant de sombrer, il visualisa alors une jeune femme aux yeux noisettes brillants dans une visage ovale cernés de mèches blond vénitien qui souriait avec la même empathie que son ami. Quand il émergea, plus un bruit ne résonnait dans l'appartement et la fenêtre du séjour était ouverte sur la nuit naissante . L'air fit frissonner Stéphane. Au dessus de lui, il vit Jérôme le secouer timidement. Il était à nouveau dans son fauteuil et ses traits était moins tirés qu'à son arrivée. Il fit reculer son fauteuil pour laisser la place à Stéphane de se relever et prit la parole pour le saluer. - J'y vais. Je t'ai posé ce que je te dois sur la table. - Merci. Je te raccompagne. - Non non ça va aller. - Et pour rentrer ? - Candice attends en bas - OK. A la semaine prochaine ? - Obligé. - OK. Bon courage pour le déménagement. - Ça marche. Bonne semaine.
1
chapitres
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
>>
<<
L’ANTIDOTE
Le coût du sang
Depuis 2017
ALC Prods