Depuis son transfert à la maison d'arrêt de Vivonne , 48 heures plus tôt, Stéphane n'avait pas fermé l’œil. Placé dans une cellule à deux lits, il avait partagé sa nuit avec un homme entre deux âges couverts de tatouages et mutique. L'odeur d'urine l'avait autant gêné que le vacarme provenant des autres cellules. Un brouhaha incessants de cris, coups et télévision au volume assourdissant. Depuis qu'il avait pu transmettre à Noé le numéro de téléphone de l'avocat que Big O, il n'avait pu parler à personne d'autre qu'à lui même. Coincé sur un lit moisi et sous un homme aux réactions imprévisibles, c'est sur le qui vive qu'il avait tenté de raisonner. Après que deux des gardiens qui semblaient presque prendre plaisir à lui faire plisser les yeux sous le jet de lumière crue de leurs lampes, il en avait abandonné l'idée. Sans montre, et sans repère, il avait subi la fuite du temps jusqu'à voir le jour blafard émerger des ténèbres de la lucarne de sa cellule. A cet instant, plus aucune pensée cohérente lui était accessible. Quand le gardien vint lui apporter son repas, son co-détenu fut le plus prompt à s'en saisir et à la fatigue psychologique s'ajouta petit à petit la torpeur physique. Il regarda l'homme manger leurs déjeuners avec le sentiment d'être un spectre dans la maison d'un autre. Quand le maton vint lui dire qu'il avait une visite, l'effort pour tendre les poignets par le passe plat de la porte de la cellule lui coûta énormément. Les parloirs de la prison de Vivonne était encore neufs. A cette heure matinale, ils dégageaient une odeur aseptisée. La lumière, bien qu'artificielle, donnait l'impression de se trouver dans un cyber café aux murs blancs et bleus. Seules les cloisons délimitant les box et les interphones de part et d'autre de la vitre pare balles rappelaient l'exact endroit Stéphane se trouvait. Suivant l'agent pénitentiaire en silence, il vint s'installer au box le plus éloigné de la porte d'entrée et le laissa fixer ses menottes à la barre placé sous le rebord de la tablette. Poser ses coudes sur celle-ci lui demanda un effort supplémentaire. Le maton lui dit ensuite vertement d'attendre avant de parler. Petit à petit, il sentit la chaleur commencer à monter dans le couloir serré des parloirs. De part et d'autre des personnes venaient s'installer. Il remarqua que les gens étaient séparés par une vitre de 5 centimètres d'épaisseur. Quelques pleurs se dessinèrent sur les visages qu'il entr'aperçut une fois qu'une femme quittait un box de l'autre côté de la vitre. Le silence relatif contre balança l'odeur âcre qui montait de son côté et il retrouva quelque peu ses esprits au point de s'interroger sur l'identité de celui qui voulait le voir. Il pencha pour Karim. Peut-être avait il eu les infos qu'il lui avait demandé par l'intermédiaire de Noé et qu'elles étaient de nature à l'aider ici et maintenant. Il se surprit à y croire plus que de raison. Cela allait s'arrêter. Ce n'était qu'une erreur. Une erreur cauchemardesque. Il ne pouvait y voir d'autre explication qu'un méprise totale tant sur ce qu'il faisait que sur ce qu'il était et encore plus sur ses rapports avec Jérôme Clairvoie. De repenser à cet homme brisé et pourtant affable et enjoué lui serra le cœur. Le détenu à côté de lui se leva brutalement et envoya voler le combiné de l'interphone contre la vitre avant de se mettre à la frapper jusqu'au sang en proférant des insanités. Hors de lui, il ne sentit pas les trois matons venir l'interpeller et une lutte commença sous le regard de ceux qui faisaient face à Stéphane de ce côté de la vitre. Devant les difficultés des gardiens à contenir la furie de cet homme, des cris d'encouragements commencèrent à naître et d'autre gardiens arrivèrent évacuant le prisonnier belliqueux manu militari et tançant les autres du regard en les invitant à profiter du peu de temps qu'il leur restait au parloir. Sans s'en rendre compte, Stéphane s'était complètement recroquevillé contre le mur du fond, les pieds sur son tabouret comme pour se protéger des cris et de la fureur environnante. Ses poignets meurtris le tirèrent de son trouble. Quand il se remit face à la vitre, il découvrit le visage d'une jeune femme dodue aux cheveux roux et aux yeux verts. D'un sourire, elle l'invita à décrocher l'interphone et prit la parole dans la foulée. - Bonjour Stéphane. Je suis Candice, l'amie de Jérôme. Stéphane, déjà éprouvé et cassé par ces dernières 36 heures, prit les paroles comme une énième gifle. Il ne pouvait détacher les yeux de ce visage qui fut le dernier sujet de conversation qu'il eut avec Jérôme. Il se dit sans pouvoir penser à autre chose qu'elle ne ressemblait en rien à ce qu'il s'était imaginé. Elle semblait plus gentille encore. Devant son mutisme et son état de grande fébrilité, ses première paroles eurent un goût de miel. - Je suis venue pour vous dire que je suis triste pour ce qui vous arrive. Profondément triste. Jérôme me parlait souvent de vous et de ce que votre relation lui apportait. Rien que pour cela, tout... Elle baissa son regard à la recherche des bons mots. Le cœur de Stéphane lui donnait l'impression de battre à nouveau. - ...ce qui se passe maintenant est un peu moins dur pour moi. Néanmoins je ne peux m'empêcher de vous dire à quelle point je compatis à votre situation comme à ce que vous avez fait. J'ai cru pouvoir vous pardonner mais cela reste au dessus de mes forces. Plus que l'acte que vous avez commis, c'est ce qui reste de vous qui m'afflige. J'espère simplement que ce que vous allez vivre vous fera réaliser à quel point il lui a été difficile d'être sans défense face à des gens sans conscience. Les derniers mots firent à Stéphane l'effet d'une lame en plein cœur. Il ne put empêcher ses larmes de couler à nouveau jusqu'à ce que sa douleur fasse disparaître les quolibets des autres détenus et laisse éclater ce qui le retenait de sombrer en un murmure que lui seul entendit.
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