Rose ne voulait pas le lâcher apparemment. Le bras et la jambe gauche sur son corps, Stéphane était ficelé. Pourtant il était grand temps de se lever. 6h00. Le temps de passer récupérer le pain et sa journée serait lancée. Il repoussa délicatement Rose, lui apposa un baiser sur le front et fila sous la douche. Puis il se fit couler un café en portant à la poubelle les restes des kébab qu’ils avaient mangé la veille. Pas les meilleurs qu’il ait mangé. Pas les pires non plus. Il débrancha son portable et regarda vite fait son fil d’actualité google. Rien de bien neuf. Brooklyn venait encore de perdre. Le PB aussi. Il allait falloir trouver des motifs de satisfaction ailleurs. Il posa son portable et se mit à siroter son café comme le soleil s’éveillait lui aussi, boule rouge incandescente. Il allait faire beau, c’était déjà ça. Il passa sous la douche, se brossa les dents et prit son ballon de basket pour la session prévue en fin de journée et fila rue de la Fraternité. Il faisait doux. Quand il arriva devant la boulangerie, il trouva porte close. Putain. Ce qu’il regrettait Yvan. Et ses baguettes trop cuites qui étaient cent fois meilleurs que le pain décongelé de l’autre zozo dont il n’arrivait pas à imprimer le nom. Faut dire que le gars s’était positionné sur un tout autre créneau. Il avait bien analysé son environnement. Des lycéens. Des collégiens. Des profs. Et l’URSSAF. Que des personnes qui n’avaient pas le temps de manger. Ou qui n’avaient le temps que d’avaler un sandwich. D’ailleurs quand Stéphane était entré dans la boulangerie il reconnut à peine les lieux. Tout n’était que sandwichs. Et un distributeur de boissons accueillait les clients. Le salopard. Il marchait sur ses plates bandes, voila ce qu’il s’était dit. Quant au fournil, les machines en russe avaient été débarqué et un laboratoire y occupait toute la place. Seule restait un frigo avec du pain tout fait et un four pour les réchauffer. Les temps changeaient. Il lança un appel vers Tim, c’était ainsi qu’il s’appelait mais il tomba sur la messagerie. Il ne laissa aucun message et se contenta de revenir en arrière et de prendre les journaux que le livreur avait déposé. Il passa par sa panic room. Tout était calme. Il remplit les rayons, fit le tour du magasin, passa la serpillière et enfin ouvrit à 7h pétantes. Madame Picassou était déjà là. - Bonjour Madame. Je suis désolé mais j’ai eu un prob… - Y vient d’où celui ci ? - Pardon ? - Votre voisin. Il est pas du quartier lui. - Vous savez, il prend encore ses marques. - Oui, il voit l’argent frais des gamins surtout. Stéphane regarda la veille dame sans savoir quoi lui répondre. Parce qu’elle avait raison. Les anciens, ils semblaient doués pour voir les choses avec une acuité sans merci. Le privilège de l’âge sans doute. Stéphane se contenta de lever les bras pour dire qu’il ne savait pas et donc mentir et lui proposa de lui garder une baguette. - Oh, Stéphane, voyons. Vous l’avez goûté son pain ? Autant aller à Super U. - Je n’ai pas de solutions pour vous, je suis navré. - Vous vendez ces petits pains suédois ? - Oui, bien sûr. - Ca fera l’affaire. Il est temps que je m’ouvre à autre chose. Paraît qu’ils sont très nourrissants. La vieille dame commençait à sortir son porte feuille comme Stéphane lui apportait un paquet de Krisprolls tout en lui prenant son journal. Il la regarda un instant chercher la monnaie, elle qui payait toujours en billets. Mais c’était la fin du mois. Quand elle releva la tête , Stéphane vit son regard embué. - Offert par la maison. Vous me direz demain si ça fait l’affaire. - Et le journal ? - En dédommagement pour le pain. - Vous êtes quelqu’un de bien Stéphane. Bonne journée. - Bonne journée Madame, prenez soin de vous. Et la dame de sortir le sourire aux lèvres. Suffisait de pas grand-chose des fois. La sensation du devoir accompli, Stéphane comprit que sa journée risquait d’être longue. Si cette brave dame ne pouvait payer, les clients allaient se montrer rares. Saint Eloi ne roulait pas sur l’or. Tant pis. Il alluma son PC et commença par ouvrir le logiciel de caisse puis essaya de se remonter le moral en allant sur le site de la bourse pour voir si ses placements décollaient. Morne plaine, hélas. Il se rabattit sur la Nouvelle Presse. Quitte à déprimer autant le faire avec le monde en perspective. - Salut Stef. - Romain. Tu es matinal. - C’est la fin du mois. C’est bien ce que tu as fait pour Madame Picassou. - Ouais, j’aurai préféré lui donner une bonne baguette bien chaude. - Justement. J’ai quelque chose à te proposer. Un nouveau boulanger.
Un nouveau Saint Eloi - 10
L’ANTIDOTE
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