Noé n’avait eu aucun mal à trouver Romain Leblond. En débauchant, il l’avait trouvé dans le bassin d’orage de Saint Eloi, un micro à la main. Le discours semblait rôdé et le public conquis. De ce que comprit Noé, il s’agissait d’entraide et de soutien aux plus pauvres de Saint Eloi. Ca collait. Au bout d’une demi heure, alors qu’un soleil rouge tapissait le ciel à l’ouest, la musique fit place au prêche et l’homme se mêla à la foule, comme tout le monde. L’espace d’un instant, Noé se demanda pourquoi il était là. Après tout, l’argent avait été retiré en liquide. Il devait servir à aider les plus démunis. Alors pourquoi ? Pourquoi avait il cette impression que quelque chose de pas normal se passait ? Pourquoi croyait t il que tout cela était trop beau pour être vrai ? Il décida alors d’oublier les €uros et d’approcher l’homme sur un autre sujet. Il se fraya un chemin jusqu’à ce Leblond. - Bonsoir - Bonsoir. - J’ai beaucoup aimé ce que vous venez de dire. Enfin du positif, ça change. - On essaie. - On ? - Vous croyez que je fais tout tout seul ? Quand je dis on c’est le quartier. Je ne vous y avais encore jamais vu d’ailleurs. - Je viens d’emménager. - Oh. Bienvenue alors. - Je me demandais d’ailleurs ce que je pouvais faire pour vous aider. Pour participer. - Mes amis passeront certainement vous voir. Quelques pièces nous suffiront. - Et ceux qui sont à la rue ? L’attitude de Leblond changea en une fraction de seconde. Sujet sensible. Merde. Pas la meilleure façon de s’en rapprocher. Sa réponse fut dite sur un ton glacial. - On y travaille. - C’est-à-dire ? Parce que j’ai de l’argent à investir et… - Et vous vivez à Saint Eloi. Qui êtes vous ? Qui vous envoie ? Noé sentit qu’une présence humaine se faisait plus présente autour de lui. Comme si les anonymes qui les entouraient ne l’étaient pas totalement pour l’un d’entre eux. Cela ne manqua pas. Il sentit une main lourde se poser sur son épaule et l’obliger à se tourner. L’homme, noir, était massif. Il ne tourna pas autour du pot. - Police ? RG ? - Non, non. - Peu importe. Deux autres types lui enserrèrent le bassin et il n’eut même pas le temps de voir Romain Leblond disparaître qu’il était déjà rejeté sur l’avenue Hoche. Les types le pointèrent du doigt et il comprit qu’il n’était pas le bienvenu. Pour une réunion publique, on triait quand même à vue. En s’en retournant vers le lycée Saint Jacques de Compostelle, il remarqua que les rues étaient vides. Pas un zonard. Pas un guetteur. Pas un dealer. Bordel. Dans sa voiture, il repensa à l’incident. Il avait parlé de quoi déjà ? Des SDF. D’argent à placer. Et cela avait vrillé Leblond. Il avait beau chercher pourquoi, il ne voyait pas. Cela semblait logique qu’une association comme ATT Quart Monde travaille à loger ceux qui n’en ont pas les moyens. Mais avec 10 000€ qui pouvait on reloger ? Imbécile. Ca faisait un paquet de loyers. Il ne s’agissait pas d’acheter. Personne n’achète à Saint Eloi d’ailleurs. Si ce n’est pour louer. En remontant l’avenue du Tiers Etat, il s’était même arrêté de compter les pancartes à louer qu’il devinait dans le soleil couchant. Alors pourquoi l’avait on refoulé ?