Noé avait fait semblant d’emménager et s’était inventé un personnage de migrant qui ne parlait que le dialecte sénégalais dont son père avait autrefois tenté de l’instruire. Cela avait marché. Les deux autres types, des afghans parlaient arabes et le regardaient d’un air dédaigneux. Comme s’il était un privilégié. Évidemment. Un sénégalais en France avait plus de chance de s’en sortir que des afghans en quête d’une dernière étape. Il avait essayé de sociabiliser avec eux en anglais mais leur anglais se limitait à oui, non, royaume uni. C’était peine perdue. A la nuit tombée il avait envoyé un message à Karine pour lui dire ce qu’il vivait. Elle l’avait traité d’abruti. Avant de lui demander s’il avait besoin d’aide. Il avait dit non. Il gérait les affaires courantes avec Caroline et Jocelyne et il en venait à se demander à quoi servait un chef d’agence jusqu’à ce que Rabotin demande à le rencontrer, rapport à ATT Quart Monde. Il avait repoussé au maximum mais, aujourd’hui, alors que le soleil frôlait son zénith, il ne trouva rien de mieux que de se renfermer dans les chiottes pour un peu d’intimité. - Jean Claude. - Ouedraougo. - Que me vaut votre attention ? - Vous le savez très bien. - Non. Noé entendit Rabotin prendre une profonde inspiration, signe qu’il était déjà agacé par la tournure de leur conversation. Il décida de jouer carte sur table. - Deux femmes sont venues me solliciter pour ouvrir un compte. Tout est en règle. - Et les fonds, vous pouvez m’expliquer comment une association caritative possède de telles provisions ? - L’argent n’a pas d’odeur, c’est vous qui me l’avez appris. - Oui, bon. Il se trouve que le commissaire de Poitiers se pose des questions. Une perquisition nous pend au nez. Vous allez fermer ces comptes. Tout de suite. Je suis clair ? - Oui monsieur. Bien monsieur. - Me prenez pas pour un con et faites ce que je vous dit. Ça pue pour votre cul pas le mien, n’oubliez pas ça Ouedraougo. Et il raccrocha. Noé prit le temps de souffler avant de sortir des toilettes et se dit qu’il n’allait pas fermer le compte tant que rien ne serait établi. Langlet sentait le fasciste à plein nez. Et Rabotin le collabo comme il ne l’aurait jamais pensé. Des coups contre la porte le sortirent de ses réflexions. Romain. - Putain, dans quelle merde tu m’as foutu connard ? - De quoi tu parles ? T’es banquier finalement ? - Peu importe, à quoi te servent ces appart’ ? - A éviter de voir les rapaces me reprocher de faire quelque chose pour mon quartier. - Et qu’est ce tu fais pour ton quartier à part en exploiter la misère ? - Je fais ce que l’État ne fait plus. Je donne de l’espoir. - En stockant des pauvres types comme ces deux là ? - Non. En mettant la pression sur des bourgeois comme toi. Deux policiers, armes au poings sortirent alors de l’encadrement de la porte. Putain. Tout cela n’avait aucun sens.