Cela faisait la deuxième nuit. Et cette fois ci, Stéphane n’avait pas réussi à s’endormir. Pire, lorsque la musique s’était faite discrète , il avait été capté par la voix métallique d’un type. Cela ne pouvait durer. Il devait savoir. Il avait enfilé un pantalon de survêtement et une casquette des Bulls avant de se diriger vers l’origine du vacarme. Le bassin d’orage. Quand il était arrivé sur place, force était de constater qu’il n’était pas seul. Loin de là. Une bonne centaine de personnes, de tous âges regardaient vers les caisses en bois sur lesquelles se tenait un homme aux dreadlocks. Et Stéphane put enfin comprendre ce qu’il disait : «  Saint Eloi est un quartier oublié. Oublié de tous. Si ce n’est des vendeurs de drogue. Est ce que c’est cela que vous voulez? Est ce que c’est l’avenir qui nous attends ? Vendre de la dope pour survivre entre deux passages à Vivonne ? Non. Nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone. Nous vivons dans un quartier de seconde zone. A nous, nous tous d’en faire autre chose. Que pensez vous des graffs derrière moi ? Que pensez vous de S.E.V.E ? Il y a de la ressource dans ce quartier. Il y a de la vie. Ne nous laissons pas endormir. Mobilisons nous pour faire de Saint Eloi ce qu’il mérite. Un endroit solidaire il fait bon vivre. Serrons nous les coudes. Relevons celui qui tombe. Arrêtons nous au passage piéton pour laisser passer notre grand-mère. Soyons civil. Soyons bienveillants. Soyons pour les autres ce que nous souhaitons pour nous. Et la dope disparaîtra. Tous ensemble solidaires, nous pourrons faire de ce quartier de seconde zone un quartier exemplaire. Saint Eloïsiens levez le poing ! » Stéphane regarda autour de lui et constata que le discours prenait. La plupart des personnes présentes levaient le poing. Alors la question qui le taraudait était de savoir qui était ce type. Quand le musique reprit et que les gens se mirent à échanger et danser, il fendit la foule droit vers le tribun. - Très bon discours - Vous êtes l’arabe de la mairie c’est ça ? - Comment vous savez ? - Je vis ici, je vous achète le journal tous les jours. Et du cassoulet. J’adore le cassoulet. Qu’est ce que vous pouvez faire pour moi ? - Qui êtes vous ? - Un habitant de Saint Eloi, comme vous. Vous seriez prêts à me donner vos invendus ? - Pourquoi ? Pourquoi je ferais ça ? - Pour aider ceux qui ne peuvent finir leurs fins de mois sans aller aux restos du cœur ou à la Banque alimentaire. - OK. Mais faites moi plaisir, baissez le volume. Il y a un nombre important d’habitants du quartier qui se lèvent tôt, vous saisissez ? - Je saisis qu’une chose. La colère. Et j’essaie de la canaliser. Je m’appelle Romain, Stéphane. Je passe vous voir demain pour les invendus. - Comment vous connaissez mon nom ? - Parce que vous avez été le précurseur. Vous et vos deux potes. Vous m’avez fait prendre conscience que l’on peut changer les choses dès lors que l’on s’en donne la peine. - Je croyais que...enfin que personne ne savait. - C’est un petit quartier où tout le monde connaît tout le monde, Stéphane. A demain. Stéphane regarda Romain se faufiler jusqu’aux tables de mix et murmurer quelque chose à l’oreille du DJ qui fit un signe de tête et baissa sensiblement le volume. Romain fit un clin d’œil à Stéphane et leva le poing. Stéphane ne sut comment le prendre. Il se contenta d’un signe de tête et retourna dans ses pénates avec le sentiment que tout cela annonçait des jours meilleurs. En repartant, il remarqua que les guetteurs de l’horloge n’étaient pas là. Sans doute se mêlaient ils à la foule. A moins qu’il ne se tapissent quelque part à l’écart.
Un nouveau Saint Eloi - 4
L’ANTIDOTE
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