Il devait à peine être 14h30. Noé avait mangé avec Karine au kébab à côté de l'agence. Bien mangé d'ailleurs. Richement. Il avait passé un bon moment. Avec elle. Tout semblait être redevenu comme avant. Pas de piques acerbes. Pas de venin dans ses paroles. Juste de la tendresse. Suite logique de leur histoire. Avec Karine, Noé avait tout connu. La passion. L'amour. La parentalité. La douleur. La séparation. La haine. Et maintenant que le temps faisait doucement son œuvre, la tendresse imprégnait chaque seconde de leur relation. Il était heureux. Et elle aussi. Il le voyait. Mieux. Il le savait. C'était au tour de leurs filles de leur apporter leur lot de tracas. Rien de bien grave. Ils avaient fait passé des tests à la dernière. Par obligation. Elle était un « élément perturbateur » de la classe. Elle ne tenait pas en place et nécessitait un attention permanente. Le test avait révélé qu'elle était précoce. Ils avaient ri jusqu'à voir la mine grave du pédiatre. • Votre fille a besoin d'être placée en institution. Ils avaient beaucoup moins ri soudainement. Qu'est ce qui vous fait dire ça ? On fait sauter des classer aux enfants précoces, on les place pas en institution, non ? Oui, mais votre fille présente également des troubles de la personnalité et une personnalité obsessionnelle qui nécessite des soins adaptés. • On peut réfléchir ? Bien sûr. Appelez moi quand vous voulez, en attendant portez votre attention sur ce que fait votre fille et la manière dont elle le fait, si ça peut vous aider. Et aujourd'hui, une quinzaine de jours après les tests et une observation rigoureuse de leur fille, ils avaient décidé que, non, ils ne la couperaient pas déjà d'un contexte normal. Karine avait rencontré son instituteur ce matin et il avait été aussi choqué qu’elle. Il l'avait rassuré en lui disant que cela arrivait de plus en plus fréquemment et que ce n'était pas la première fois qu'il avait à faire à ce type d'enfant depuis quelques années. La difficulté ne serait pas d'apprendre ; elle le faisait plus vite et mieux que les autres, mais de contrôler son tempérament parfois orageux avec ses camarades. Pour cela ils allaient devoir faire équipe lui et eux. Ils avaient alors décidé de faire un point tous les vendredis et Karine avait donné tous leurs numéros en cas de problème. Tout était réglé. Noé venait de raccrocher avec le pédiatre. « C’est vous qui voyez mais permettez moi de vous dire que vous mettez votre fille en difficuté ». Bah tiens. Fais nous culpabiliser en plus. • C'est un con • Tout de suite. • Bah c'est vrai, c'est déjà compliqué d'élever des gosses convenablement à notre époque pour ne pas nous accabler de menaces ! • C'est pas faux. • Tu crois qu'on a fait une future Einstein ? • T'es con. Noé allait se lever pour mettre leurs déchets dans la poubelle et commander deux cafés lorsqu’il vit passer un homme en sang et les habits en lambeau en courant comme un dératé. Karine lui retint le bras et fit un signe de la tête vers La Poste. Une quinzaine de jeunes encagoulés couraient derrière lui. Couraient plus vite. Quand ils l'eurent rattrapé et roué de coups, Karine et Noé n'en crurent pas leurs yeux. Ils n'eurent même pas le réflexe d'appeler qui que ce soit. Quand l'odeur de chair à cochon monta depuis l'homme réduit en torche vivante, il était déjà trop tard de toute façon.
Un voie pour des voix - 1
L’ANTIDOTE
>>
<<
Depuis 2017
O2
+
+
+