Karim était repu. Coincé dans son coin de table, il défit discrètement le bouton de son jean et se laissa légèrement glisser sur sa chaise. Face à lui, Hakim était méconnaissable. L’islamiste rigoriste qu’il jouait en public avait complètement disparu. Il lui remplit son verre d’un Bordeaux particulièrement bon. A eux deux, ils avaient pratiquement descendu toute la bouteille sous l’œil réprobateur du père de Aïsha. - Alors comme ça vous êtes en guerre ? - Hein ? - Ben je sais pas Jean m’a dit que vous jouiez les Don Quichotte contre des gens particulièrement puissant. Z’êtes incorrigibles les gars. - Bah on n’est pas en guerre. On se défend. Et malheureusement ça ne paie jamais. - Vous l’avez coincé , non ? - Ouais. Si tu veux. Mais le type qu’il avait tenté de tuer se retrouve à Laborit. - Fou un jour. Fou toujours. - Hakim, s’il te plaît… - Oh ça va, on est entre nous. - Ca n’est pas une raison. Ta sœur a raison. On ne parle pas comme ça des gens. - Maman…. - Ecoute ta mère Hakim. Ou je t’enlève la bouteille. - Ok, ok. Je me tais. Un grand sourire barrant son visage, Hakim se resservit un bon verre au grand dam de son père. Malika, la mère de la fratrie proposa du café et tous acceptèrent. Elle disparut dans leur petite cuisine avec Aïsha , laissant les hommes entre eux. Hakim rota ostensiblement. - On fait pas ça fils. Tu le sais. - Excuse pa. - Alors Karim, comment va l’hôpital ? - C’est compliqué. De plus en plus compliqué Monsieur Achour. - Oui, Aïsha m’a dit. Et toi, ça va ? Ils parlent pas de te licencier ? - Oh… Non non ne vous inquiétez pas je suis fonctionnaire ils ne peuvent pas et de toute façon ils sont tellement à court de personnel qu’ils ne veulent pas. - Bien, bien. Un silence lourd s’immisça autour de la table, comme le père regardait les deux chaises vides à sa droite. Aziz et Juliette n’étaient toujours pas arrivés. Ils ne viendraient pas. Et Mohamed Achour avait les yeux qui brillaient. C’était traditionnel ce dîner. L’anniversaire de leur mariage. Il y a 35 ans. Et de savoir que son plus jeune fils n’était pas là, faisait gonfler son cœur, Karim le sentait. Et il ne savait quoi dire. Avant que cela ne devienne gênant Aïsha et sa mère revinrent de la cuisine avec le café. - On a quelque chose à vous dire avec Karim. Les yeux de Mohamed et Malika s’illuminèrent. - Je suis enceinte. -Wouh. Félicitations les amoureux. Viens là petite sœur. Tous s’embrassaient quand la porte s’ouvrit. Et aux sourires et aux larmes de joie qui rayonnaient sur les visages, succéda la peur. La peur et l’inquiétude. Aziz venait d’arriver. Et son visage à lui était moche. Tellement moche que Mohamed se demanda si c’était bien son fils.
Le gardien - 04
L’ANTIDOTE
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