Hakim regardait son petit frère et son beauf avec circonspection. Les voila débarqués sans prévenir et maintenant ils ne réclamaient pas un thé mais un hack. Et pourquoi ? Pour une belle sœur qu’il n’avait jamais réussi à cerner. Pourtant tous les deux étaient au service de la Nation... Seulement elle elle le faisait en distribuant des trombones depuis un bureau du RIMA. 9h-17h. Du lundi au vendredi. Et les primes de risques gratos. Cadeau. Alors il s’interrogeait sur leur volonté de découvrir ce qui coulait de source. Elle faisait une dépression. Et sans doute que cela couvait depuis si longtemps qu’elle avait décompensé un truc de psychotique. Oui. C’était clair comme une sourate bafouée du Coran. Ils se fourraient les doigts dans l’œil. Pas un chat à fouetter. Circulez y’a rien à voir. - Putain p’tit frère qu’est que c’est que cette gueule ? Elle t’as foutu sur la caboche , c’est ça ? C’est elle ? Elle a pété un câble et tu l’as emmené aux urgences ? Et puis là elle a tout lâché ? Et t’as rien pu faire ? C’est ça ? Aziz réajusta son sweat, les yeux sur ses chaussures. Il devrait être au travail maintenant. Il ne comprenait pas pourquoi il était là. Devant ce grand frère qu’il admirait. Lui ne faisait que construire des murs. Hakim sauvait la planète. Putain. Encore ce sentiment d’infériorité. Et toujours le même monceau de conneries sur celle qu’il aimait. Comme si lui et tous les autres, à part peut être Karim, ne voulaient rien comprendre. Alors il se dit qu’il était temps. Il était temps de se relever. De ne plus courber l’échine. De dire la vérité. Sa femme était une femme d’exception. - Juliette était dans le RIMA en tant que sergent instructeur lorsque la guerre au Rwando a éclatée. Elle y a été envoyé pour former les Oudous à se défendre. Elle avait un truc disparu, mais que tu dois connaître. Un casque bleu. Et elle a vu ceux qu’elle formait massacrer les Tustis. Tu vois de quoi je parle ? Ouais, tu vois. L’opération Opale. Elle a marché sur des montagnes de cadavres. Elle a recousu des nez, des pieds des jambes. Elle a vu des enfants décapités en train de pourrir dans la moiteur de l’Afrique de ce coin. Tu vois ? Ouais. Tu vois. Et vous, vous ma famille vous n’avez jamais rien vu de tout cela. Parce qu’il n’y a qu’à moi qu’elle en parlait. Et puis avec ce qui se passe en Ukraine elle a arrêté de parler. Et elle s’est remise à faire des cauchemars. Tu sais ce qu’est un hurlement de terreur. Dis, tu sais frangin ? Non. Tu sais pas. T’as toujours vécu à sauver des vies avec une souris et des ordinateurs. Sans jamais te salir les mains. Elle, elle s’est sali les mains si fort qu’elle sont restées sales. Alors oui, elle m’a frappé. Et oui je n’ai rien dit. Pour la protéger. Tu connais l’armée ? Non. Tu connais pas la Grande Muette. Tu vis au dessus. Alors je te le demande frangin. Redescends. Redescends au niveau de l’horreur. Et retrouves la moi. Hakim ne put que prendre son frère dans ses bras. - Je te le jure frangin. Je vais la trouver. Et je vais l’aider. Je te le jures tu m’entends ? Ils se séparèrent l’un de l’autre et Aziz renifla, les yeux rouges comme son frère commençait à s’activer sur ses PC. Karim était resté en retrait. Mais il était soulagé. Peut être avait il bien agi sans le vouloir. Il n’avait vu Hakim que comme une ressource. Et il se révélait qu’il était bien davantage. C’était la famille. Le sang de la veine. - Trouvée ! - … - Elle est au Val de Grâce.