Stéphane salua Ibrahim comme une cliente entrait dans le magasin. Le gamin s'était bien remis finalement. Il avait su passer par dessus la déception de ne pouvoir continuer le programme Mars2030 et était redevenu le puits de sagesse spontané qu'il était. Noé disait que le foot l'avait énormément aidé. Retrouver des liens. En créer de nouveaux. Sains. Réciproques. Après tout nous sommes tous des animaux sociaux. • Dites moi, vous n'auriez pas du Bourbon. • Bien sûr, l'étagère au dessus des scotchs madame. • Oh, merci. Stéphane ne prit même pas la peine de se retourner et préféra prendre le dernier exemplaire de La nouvelle Presse restant dans le présentoir avant de s'en retourner vers son bureau pour attendre celle qui serait certainement sa dernière cliente de la journée. Il regarda par habitude la caméra de surveillance qui surplombait le rayon des alcools mais la dame était déjà devant lui. Il scanna la bouteille de bourbon, prit le billet de 20 €, rendit la monnaie, la salua et, une fois qu'elle fut sortie, appuya sur la commande du rideau de fer de la devanture et ferma. Il alla se faire couler un café dans la panic room, lança le dispositif d'enregistrement et revint à son bureau et se mit à feuilleter le journal en sirotant son café. Il avait le temps. Rose était en séminaire sur Paris et personne d'autre ne l'attendait. Rien de bien croustillant à Poitiers et ses environs. La mairesse continuait sa révolution verte et citadine sans se départir de son sourire de communiante. Cela lui fit penser à Monchaud. Il ne l'avait plus revu depuis leur vrai faux passage dans son bureau. Et il ne s'était pas manifesté. Finalement ses bras étaient plus gros que ses tripes. Ou alors il avait lui aussi eu maille à prendre dans cette histoire. Un homme était mort assassiné dans le plus grand secret pour que l'équipe municipale puisse continuer à éteindre les éclairages dans tous les quartiers de la ville, les uns après les autres. Cela le fit sourire. Il attendait de voir ce que ça allait donner ici. Saint Eloi n'était pas sage. Surtout la nuit. On allait bien rigoler. Il continua de tourner les pages et arriva à Châtellerault. Une photo en couleur de trois voitures brûlées faisait la une de la rubrique. Un règlement de comptes entre bandes pictaves et châtelleraudaises selon le reporter. Rien de bien nouveau sous le soleil, quoi. Il allait refermer le journal pour finir dans le silence son café lorsqu'il tomba sur une brève en dernière page région. «  Le commissaire Monchaud , muté en région PACA, a été remplacé par le commissaire Langlet fraîchement promu comissaire divisionnaire. La passation de pouvoir aura lieu dans le courant de la semaine selon le service presse de la Préfecture. Adrien Langlet, 36 ans, était jusqu'à présent en poste à Tourcoing. » Il fuyait. C'était évident. Cela finit de dégoûter Stéphane qui alla vider son café dans la panic room. Il était assez énervé comme cela. Au moment de refermer la porte qui donnait sur la coulée verte enfin baptisée Parc de Saint Eloi, il sentit le sol trembler sous ses pieds puis des basses et des infra basses si puissantes qu'elles lui traversèrent l'entiereté du corps. Il tourna la tête vers l'ouest quand la musique démarra vraiment. KRS One. Sound of the police. L'éclairage se coupa presqu'en même temps. Alors qu'il partait vers l'opposé, il se dit qu'il y en avait qui n'allaient pas pouvoir se reposer. A la lumière de son portable il traça son chemin dans la nuit hivernale en pensant à ce qui était en train de se passer dans cette ville. La nouvelle équipe municipale. Le commissaire qui fuit. La bloc party sauvage. Quelque chose était en train de changer à Saint Eloi et à Poitiers plus globalement. En se posant dans son canapé, il eut la désagréable impression de s'être assis sur une banquette de boite de nuit. Cela ne l'empêcha de sombrer dans un sommeil profond avant même d'avoir allumé sa TV. Après tout, tout cela, il le sentait, le concernait de moins en moins.