Karim regardait Nourredine Ben Saïd se prendre la tête entre les mains en attendant le verdict médical. Il n’avait dorénavant plus aucun doute. Quelqu’un s’en était pris à Caroline Ben Saïd. Et ce n’était pas son époux. Karim avait un peu gratté dans son dossier, posé deux trois questions, comme ça, l’air de rien à Nourredine. Ils vivaient dans un logement à Saint Eloi, avenue Hoche. Ils n’avaient pas d’enfants. Pas parce qu’ils ne voulaient pas. Mais parce qu’il nous pouvaient pas. Sa femme était stérile. Et très pratiquante. Cela faisait une piste. Les pratiquants d’un islam rigoriste peuvent se révéler particulièrement sauvages. Il en savait quelque chose. L’autre piste qui titillait Karim, c’était le quartier. Et leur place dans ce quartier. Pas le meilleur quartier de la ville. Pas la meilleure rue du quartier. A deux pas de l’horloge. A deux pas du crime sans fard. Et puis Nourredine était au chômage et Caroline ne travaillait pas. Une arnaque à l’assurance ? Hum. - Wow, tu vas continuer à les couver combien de temps ? - Excuse. J’arrive. - Non, t’arrives pas. Tu leur donnes ces papiers et tu leur souhaite bon vent. Y’a du monde à l’accueil, K. Christophe était une véritable boule de nerf, toujours à râler. Mais c’était un bon infirmier. D’une froideur extrême en situation d’urgence vitale. D’ailleurs si Caroline ne s’en tirait qu’avec une balafre , c’était en grande partie grâce à lui. Il avait fait ce qu’il fallait quand il fallait. Alors, il s’avança vers eux. Nourredine poussait doucement le fauteuil où sa femme semblait avoir repris quelque couleur. - Voilà. Ce sont les documents pour l’arrêt de travail et la sécu. - Merci, Monsieur. Merci à tous. - Pas de problème, on est là pour ça. Nourredine baissa les yeux, par pudeur. Sa femme lui sourit sous son voile et stoppa leur petit convoi pour prendre la main de Karim. Il eut un mouvement de recul mais Caroline lui souriait si franchement qu’il oublia les gestes barrières. - Vous êtes un homme bon, Monsieur Jaïsh. - Oh, je ne fais que mon travail, Madame. - Vous savez ce que veux dire Jaïsh en arabe ? - Non. - Cela veux dire « âme ». La vôtre est belle. - C’est très gentil, merci. - Non, encore une fois, merci à vous. Prenez soin de votre belle âme. Christophe lui gueula dessus une nouvelle fois, mais Karim fit semblant de ne pas entendre et prit le fauteuil roulant le temps que Nourredine Ben Saïd prenne son ticket de parking. Lorsqu’il revint, à peine une minute plus tard, il ne put s’empêcher d’ouvrir sa gueule. - Ne laissez pas cela impuni. Ne laissez pas ceux qui vous ont fait ça impuni. Tous deux le regardèrent. Surpris par son regard devenu aussi dur que la pierre.
Un nouveau Saint Eloi - 6
L’ANTIDOTE
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