• Bonsoir patron. • Bonsoir , mon grand. Tu rentres en bus ce soir ? • Oui. Noé est encore au boulot. • Ah. D'accord. Bonne soirée • A vous aussi. Stéphane regarda Ibrahim disparaître dans la nuit naissante mais il avait l'esprit ailleurs. Ce matin, le type du bassin d'orage était passé pour lui réclamer les fameux invendus. Il les lui avait donnés. C'est vrai que c'était bien plus intelligent que des les renvoyer ou de les détruire. Cela l'amena à repenser à son discours. A ce feu qu'il essayait de domestiquer. Et de cette nécessité de tous de vouloir se retrouver ensemble et de prendre son destin en main indépendamment de la Nation ou de l'Etat. Pour Stéphane cela traduisait deux choses. La faillite des services publics et un repli sur soi, comme si on ne pouvait compter que sur soi même ou ceux qui étaient « comme nous ». L'esprit communautaire. Un virus planté en plein cœur de la République. Si tant qu'elle existe ailleurs que dans les palais dorés des ministères. Qu'est ce qui faisait de ce pays une nation aujourd'hui ? A part la langue (et encore), Stéphane ne réussit pas à trouver de valeurs partagées. Les Liberté-Egalité-Fraternité flanqués sur les frontons des établissements publics étaient depuis longtemps bafoués et vides de sens et de faits. Oui. Tout avait été patiemment démonté. Part les dirigeants successifs, vendant le pays et ses richesses au plus offrant au point de ne laisser qu'une énorme dette. Alors forcément quand il faut une maîtrise pour arriver à obtenir le RSA, l'entraide a d'un seul coup plus de sens. Et quand on ne sait pas si son voisin ne veut pas votre mort, notre semblable devient notre seule porte de sortie. Au moins ces types ne faisaient pas dans le sectarisme ou le racisme déguisé. C'était déjà ça. Et c'était d'ailleurs tout. Stéphane soupira, referma son cahier de comptes et alla baisser le rideau de sa devanture avant de lancer le circuit de surveillance et de sortir sur le Parc. Quelques gamins jouaient encore dans le clair obscur. Au loin il entendit une 125 remonter vers le bassin d'orage. La vie du quartier en somme. Il ne croyait pas que Romain et ses amis puissent changer quoi que ce soit à ce quartier. Tant qu'une barrette de shit rapportera plus qu'un mois d'apprentissage il n'y avait pas d'espoir. Pas pour Stéphane. Une fois dans son canapé, il regarda sa montre et décida qu'il avait le temps de préparer quelque chose pour Rose. Elle rentrait ce soir. Quand il ouvrit son frigo, il était vide. Ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés. Vérité indémodable. Il renfila son sweat chaussa une casquette et remonta le quartier vers le Super U. Cela lui prit bien un quart d'heure. Quand il fut devant le magasin, il était fermé. Evidemment. Il fermait plus tard. Il regarda en face la pharmacie de Saint Eloi et vit que le kebab était ouvert. Ce serait Kébab alors. • Bonsoir • Bonsoir. Je vais vous prendre 2 kebab salade, tomates, oignons, sauce harissa et deux grandes potions de frites. • Des boissons ? • Non. Merci. • OK. C'est parti. Le type lui avait offert une grande bouteille de coca. Sympa. En rentrant dans le noir installé de cette nuit de fin de printemps, il ne croisa personne. Juste Romain et quelques habitants qui se réchauffaient devant un bidon enflammé. Quand Romain le vit il le salua ostensiblement. Tout autour de lui le silence régnait. Bordel. Saint Eloi n'était il déjà plus le premier point de deal de Poitiers ?
Un nouveau Saint Eloi - 7
L’ANTIDOTE
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