Les deux gaillards devaient bien peser 200 kilos à eux deux. Deux masses avec l’un un bout de doigt dans la main et la glace l’autre avec un œil rouge sang. D’après ce que Karim avait saisi de leur conversation l’un était charpentier ( l’homme au doigt coupé) et l’autre ferronnier. Et on aurait pu croire qu’ils se connaissaient depuis toujours si Karim ne les avaient pas vu arriver à 2 heures d’intervalle et passer une heure sans se dire un mot. Maintenant leur discussion était dense et sérieuse. Karim leur demanda quel était leur niveau de douleur. Et chacun dit que ça allait. De vrais artisans. De vrais durs au mal. Sitôt Karim parti ils avaient repris leur discussion. Karim fit sa tournée des box et demanda au Bed manager s’il y avait des transferts en attente. Il lui dit pas avant une bonne heure, certainement en réa. Il alla nettoyer la salle de décontamination à l’écart des lits porte et salua son binôme qui buvait tranquillement son café. Karim revint alors vers le sas d’accueil et se posta à côté de l’infirmière coordinatrice, comme pour attendre quelque chose. Un peu d’action, sans doute. Sans le vouloir il se mit à écouter la conversation des deux artisans. L’homme au doigt coupé devait passer au bloc depuis une heure. Pourtant il ne se plaignait pas. Pour l’autre l’ophtalmo de garde se faisait attendre depuis 3 heures. Il fallait dire que ce n’était pas des urgences vitales. Et à les écouter, c’était comme si de rien n’était. - Non, mais le statut d’autoentrepreneur c’est une arnaque Romain. Tu fais que survivre avec ça. Si tu veux gagner un peu d’argent tu te retrouves à crouler sous les taxes. J’te l’dis tu devrais voir avec le Crédit Populaire, ils pourraient te filer un sacré coup de main. - J’croyais que t’étais aussi autoentrepreneur ? - T’as entendu parler du LDL ? - Qui n’a pas entendu parler du LDL… - Ouais mais tu sais ce que c’est ? - Un livret d’épargne ? - Ouais, enfin pas que… C’est un livret d’épargne qui file du fric aux entreprises du secteur des épargnants. Avec leur fric, l’entrepreneur peut investir ou se sortir d’une mauvaise passe. Le truc c’est qu’il faut faire du bénéfice et ils te ponctionnent 1 % de ceux là. - Ouais, c’est un Livret A qui boursicote quoi… - Non t’y es pas. Moi j’étais autoentrepreneur et l’agence du crédit populaire de mon secteur m’a proposé une avance de trésorerie pour passer d’autoentrepreneur à E.U.R.L.. Depuis je suis libre et avec le boulot qu’on a je me fais pas de bile. Tu devrais te renseigner. - Tu me dis quelle banque ? - Le Crédit Populaire. - Y’a pas d’agence à Couhé. - Y’en a forcément une qui peut t’aider. - Tu sais quoi ? - Ouais ? - Tu devrais te faire embaucher comme chargé de com’ par eux ! C’était peu de dire que Noé avait réussi son coup. Car ça ne pouvait venir que de lui. Le LDL devait être le fruit de sa croisade contre ceux qui voulait changer l’âme du Crédit… - Karim, le doigt ! Au bloc maintenant - Bloc urgence ? - Oui, ils t’attendent. Karim se dirigea vers Romain CASQUET, lui posa le bracelet d’identification et lui demanda de s’allonger sur le brancard. Son acolyte lui souhaita bonne chance puis se leva d’un coup et vint vers eux. - Tiens mon grand, ma carte, rappelle moi qu’on continue cette conversation. - Ça marche Jean Louis. A bientôt.