Eric était revenu du bloc opératoire plongé dans un coma artificiel. COVID oblige, Stéphane n’avait pu le voir. Tout juste savait il qu’il était maintenant hors de danger et que son foie était intact. La question était de savoir quand il pourrait bénéficier d’un rein. Dans la tête de Stéphane cette interrogation revenait en boucle. Il aurait aimé pouvoir en parler avec un médecin, juste pour savoir s’il était compatible. Mais l’institution avait ses règles. Pas question de l’approcher pour l’instant. Trop fragile. Trop précaire. Quand Karim l’avait appelé il avait su. Direct. Il avait su qu’il était arrivé quelque chose. Quelque chose à Eric. Parce que le faisceau d’événement ne pouvait mener qu’à une issue tragique. Ou plus exactement dramatique. Il avait vu l’ambulance du SMUR emmener son employé vers le C.H.U.. Il avait vu Karim pas rassuré du tout. Il avait vu le sang sur le trottoir. Et il avait pris le couteau. L’arme du crime. Rien à foutre des flics. Rien à foutre de l’enquête. Rien à foutre des lourdeurs de l’administration. Il trouverait par lui-même. Et il le ferait payer. En prenant sa douche avant de filer à l’hôpital, il savait déjà qui il devait chercher. Il avait composé , encore dégoulinant, le numéro de Lacorde, et, sans surprise, le numéro n’était pas attribué. Alors il s’était dit que ce n’était pas le moment. Pas encore. Et il avait filé à tombeau ouvert vers la Milétrie. Là, Karim l’attendait, encore plus pâle que d’habitude. Il était 3 heures du matin. Un simple regard lui avait suffi pour comprendre que Eric était mal en point. Son foie avait survécu. Pas son rein droit. Une vilaine blessure avait aussi perforé son intestin grêle. Vacherie. L’histoire se répétait. Encore et encore. - Tu crois que je peux le voir ? - Il viens juste de rentrer du bloc. C’est trop tôt. - Tu crois que je peux être donneur ? - J’en sais rien Stef. J’en sais rien. Et le silence relatif de la salle d’attente de la réanimation chirurgicale avait envahi leur conversation. Un mélange d’allers et venus de lits médicalisés, de bips intermittents des machines de surveillance et d’éclats de voix. C’était tellement stressant qu’il se demandait comment on pouvait travailler dans ces conditions. Comment on pouvait s’en sortir. Pourtant, lui il s’en était sorti. Et n’avait aucun souvenir de tout ce brouhaha. Seulement le sourire des soignants. Et les paroles rassurantes des infirmières et des aides soignantes. Maintenant il se retrouvait à attendre. Et le vacarme le détruisait petit à petit. Peut être était ce l’heure. Oui. Peut être était ce la fatigue. Ou tout simplement des souvenirs qui lui échappait pour mieux le hanter. - Il faut que je sorte. - Bonne idée. Stéphane suivit Karim dans le dédale des couloirs de l’hopital pour se retrouver sur le parvis des urgences. Il s’arrêta à la machine à café pendant que Karim discutait avec une infirmière. Sans doute une collègue. Elle semblait contrariée des propos de Karim. Et Karim avait le visage dur qu’il ne lui connaissait plus. Elle finit par décrocher son téléphone puis par le raccrocher. Un coup de fil. Pour savoir. Le reste ne leur appartenait pas.