L'homme semblait pressé et sa nervosité transparaissait dans ses paroles. Karim avait pourtant fait aussi vite qu'il lui était possible. La mort de Guillermo Azuelo avait été paisible. C'était l'équipe de nuit qui s'en était chargée et lorsqu’il avait pris son service, seuls restaient les formalités administratives. Il avait espéré jusqu'au bout revoir une dernière fois sa fille. Il s'était même dit que, peut être, il aurait fait un pas vers elle. Les circonstances ne jouaient pas pour lui, il le savait, mais il lui avait semblé qu'elle aurait été prête à le revoir. A sa dernière visite, il s'était dit qu'ils partageaient quelque chose qui demandait encore à être dévoilé. Quand il avait vu l'homme, grand, blond, les cheveux courts et les yeux bleu arctique venir récupérer les papiers et signer comme conjoint, il avait su que son pressentiment était en fait une illusion. Professionnel, il avait ravalé sa déception, évité de penser qu'il ne la reverrait plus et lui avait remis les documents. Lorsqu'il lui avait tendu la main, Karim eut une impression de déjà vu. Comme si ce visage et cette stature ne lui était pas étrangère. C'était un sentiment diffus et une impression, rien de vraiment sûr. Il chercha dans ses souvenirs comme l'homme était au téléphone sans pour autant trouver quoi que ce soit. Il laissa tomber et commença à préparer ses affaires pour commencer son travail de la matinée en attendant que son interlocuteur ait fini de batailler au téléphone. La conversation semblait animée et rapidement la voix de l'homme se fit plus caverneuse. Karim ne put s'empêcher de tendre l'oreille. - Ecoute ma grande, je suis déjà obligé de gérer ta merde parce que tu peux pas sortir comme ça et en plus tu voudrais que je fasse tes courses à ta place. Fous des lunettes et va chercher ce qu'il te faut. On continuera cette discussion quand je rentrerais. J'ai un double appel. Karim n'eut pas besoin de réfléchir pour savoir à qui il parlait, comme ce qu'il disait impliquait. Il lâcha ce qu'il était en train de faire et revint vers l'ilot central du service pour se trouver au plus près du type lorsqu'il aurait raccroché. Il préparait sa question lorsque l'homme prit son double appel. Karim en profita pour jeter un coup d'oeil aux papiers d'identité de l'homme. Et resta figé. A côté de lui, le second échange téléphonique fut bref. - Oui. Tout est en place. Ce sera à la République. Sur la station. Le transport est déjà parti, t'as pas à t'inquiéter. Pour le fric, tu as fait ce qu'il fallait ? OK. On se voit ce soir. Le visage de l'homme était plus détendu qu'à la prise de l'appel de sa femme. Son dernier interlocuteur avait réussi à lui redonner un semblant d'humanité dans les traits et c'est avec le sourire qu'il prit les documents que Karim lui donnait. Il le remercia et alla serrer la main de l'interne qui avait suivi son beau père en le remerciant pour son dévouement. Karim le suivit jusqu'à ce qu'il quitte le service sans ne rien laisser transparaître de son affolement. Il alla ensuite voir son binôme infirmier et prétexta un oubli pour s’éclipser du service. Il passa à son casier, prit son téléphone portable et gagna le dernier étage de l’hôpital. Dans l'ascenseur, il hésitait encore, les yeux fixés sur les noms défilant sur son smartphone. Dans son autre main, la photocopie de la carte d'identité de Thomas Virandier continuait à lui donner le vertige. Il se sentait aussi démuni que seul. Seul face à un homme et deux visages. Quand il arriva sur la terrasse du 11ème étage de l’hopital, quelques uns de ses collègues le saluèrent alors qu'ils fumaient une cigarette. Il leur sourit puis alla se poster près de la rambarde. Sous lui pratiquement 40 mètres de vide et devant lui la campagne poitevine . Le vertige était plus qu'une simple impression. Il consulta les pages blanches et composa le numéro de Sarah Azuelo. - Madame Azuelo ? - Oui. Qui est à l'appareil ? - Karim Jaïsh. Je suis aide soignant à la... - Oui, je me souviens de vous. Comment allez vous ? - C'est à vous que je le demande. - Pas très bien. Mon père... - Je sais, je viens de voir votre conjoint. Il avait l'air très affecté et pour ainsi dire sur les nerfs. - Oui, ils étaient proches et... - Puis je passer vous voir ce soir ? - Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Je suis très fatigué... - Et pas très présentable, je sais. Tout comme je sais que ce qui est le plus dangereux dans votre vie, n'est pas votre métier. - De quoi parlez vous ? - A vous de me le dire. - Non, mais pour qui vous prenez vous, M. Jaïsh ? - Pour quelqu'un qui veut vous aider. - En me harcelant ? - Non, en vous offrant une porte de sortie. Ce soir, 21h à la Serrurerie. N'emportez rien.
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L’ANTIDOTE
La gueule du loup
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