Noé sentit la peur le gagner en voyant ses deux amis quitter le bureau du commissaire divisionnaire Bouchet sans lui. Il n'avait jamais rien eu à cacher ni même à craindre des forces de police et pourtant, le fait de se retrouver dans cette pièce anonyme et chargée de décisions qui avaient fait basculé la vie de dizaines d'hommes et de femmes vers un avenir en forme de geôle semblait avoir prise sur son esprit. Tout avait pourtant bien commencé. Avant même que Stéphane ne soit sorti de l’hôpital deux semaines plus tôt ; Noé, Karim et Stéphane avaient eu les honneurs de la Préfecture de Police pour leur aide récente. Les trois amis avaient reçu une médaille pour leurs actions citoyennes bien que le malaise fut palpable au moment de la présentation de Stéphane aux dignitaires de la ville. Sa convalescence difficile et le rythme effréné de l'actualité leur avait permis de ne goûter à l'embrasement médiatique que le temps de lui préférer le quotidien anonyme. Ils avaient été par contre surpris de l'invitation reçue de la part du commissaire Bouchet pour les remercier personnellement de leur travail et avaient pris cela comme un témoignage que tout cela n'était pas vain. Ils avaient attendu que Stéphane soit enfin sur pieds pour s'y rendre alors que l'été se terminait et que les jours, à défaut d'être court, se faisaient plus frais. Le 6 septembre, ils avaient donc pris la direction du commissariat central. Noé portait un costume griffé et sa barbe était taillée de près tout comme son crâne. Karim avait quant à lui fait l'effort de porter une veste et un pantalon de toile sans pour autant renoncer à une paire de air jordan. Quand Noé lui avait fait remarqué, il s'était simplement excusé de n'avoir rien d'autre comme chaussures. Quant à Stéphane, on l'aurait cru parti pour une session au Jardin de plantes, ce qui ferait de lui l'erreur sur la photo. Si le commissaire Bouchet dut remarquer ce dégradé d'accoutrement il n'en laissa rien paraître et les salua tous les trois de la même façon. - Je tenais à vous adresser personnellement mes remerciements, messieurs. Ainsi, je vous le dis, merci. Merci au nom des forces de Police pour votre coopération. Merci au nom de la ville de Poitiers également pour l'exemple que vous êtes pour ses administrés. Il se leva de derrière son imposant bureau et leur serra chaleureusement la main avant de se rasseoir à nouveau. Les 3 invités, devant une telle solennité et une emphase grotesque, durent éviter pendant 5 bonnes minutes de croiser leurs regards sous peine de manquer de respect à leur hôte. Alors qu'il continuait à dresser un panégyrique de leurs personnalités et que Noé comme Karim se demandaient s'il n'y avait pas des caméras qui expliquerait le ton impersonnel du commissaire, Stéphane décida que c'en était assez et mit fin au verbiage de leur hôte quand il revint sur les remerciements. - Je crois surtout que mes amis ont fait cela pour Jérôme. Jérôme Clairvoie. Le commissaire se tut presque mécaniquement et leva un bras en signe d'apaisement devant le ton ferme avec lequel Stéphane l'avait coupé. La discussion s'engagea alors sur sa convalescence puis sur leurs familles et sur l’activité du service de Karim. Ils virent alors un homme intelligent et de toute évidence à l'humanité sincère. Ils comprirent aussi vite le décalage entre l'emphase de ses remerciements et cette attitude humble. Il tenait de toute évidence à sa difficulté à assumer cette part de son travail. Son accent typiquement poitevin et sa manière de sourire aux blagues populaires de Karim permit à Noé d'en être certain. Il imagina ainsi un individu de basse extraction qui avait gravi les échelons au mérite. Un homme bien à leurs yeux. Il sut néanmoins leur rappeler quelle était sa position et son métier au moment de leur dire au revoir - Bon, merci encore. Je vous souhaite de ne pas me revoir. Je me tiens à votre service néanmoins. Stéphane, d'ailleurs, j'espère que vous saurez ne pas me faire venir avant qu'il ne soit trop tard. Stéphane dont la sortie lui avait accordé un brin de suffisance se renfrogna, au moment de serrer la main du commissaire. C'est que le commissaire avait retenu Noé par le bras pour lui glisser à l'oreille qu'il avait un dernier service à lui demander. Comme ses amis attendaient devant la porte, il leur fit signe de ne pas l'attendre et retourna s’asseoir devant le bureau, cette fois ci avec le vague sentiment d'être pris en faute. Quand le commissaire eut fini de regarder quelque chose sur son ordinateur et que l'on n'entendit plus les pas de Karim et Stéphane, il posa son regard de paysan sur lui et en vint directement au fait. - M. Ouedraougo, vous avez accès aux mouvements financiers de vos clients, n'est ce pas ? - Oui. En effet. Pour tous les projets dont j'ai la charge, je veille au bon suivi et au respect des règles de remboursement contractualisées. - Oui d'accord, mais je veux dire pour les particuliers ? - Les chargés de clientèles ont le même accès - Et vous, vous pourriez ? - Je n'ai en ai pas le droit, commissaire. - Et si je vous autorisai à prendre le gauche ?
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