Il faisait déjà jour. Karim avait l'impression d'avoir de la flotte à la place de la cervelle. A côté de lui, il n'y avait déjà plus personne. Un peu plus bas, répandu sur le sol, la bouteille de vodka, un paquet de cigarettes froissé et une capote usagée. Il se retourna avec l'envie de vomir. De côté ci le réveil lui disait qu'il était 9 heures. Au fait, il bossait aujourd'hui ? Du matin ? Tachycardie peu propice à la remise en phase. Montée d'adrénaline. Lever brutal. Il farfouilla, seulement vêtu de son caleçon, dans les poches de son blouson et trouva son téléphone. L'agenda. La date. Le planning. Non. On était jeudi. Il était de repos jusqu'à samedi 14 heures. Relâchement. Retour à la réalité. Solène qui sort de la salle de bains. - Il faudrait vraiment que tu fasses quelque chose pour la douche, fripon. Achète un rideau. C'est impossible de s'habiller les pieds au sec. Il y avait tellement de chose qu'il devait faire. Cet appartement avait tellement besoin qu'on le retape. Casser la cloison entre les WC et la salle de bains pour la décaler. Faire une douche à l'italienne avec des panneaux de verre et du carrelage sur tout le mur. Un véritable lavabo moderne. Un chauffe serviette. Et puis enlever le parquet pour mettre quelque chose de plus facile à entretenir. Finir de casser les montants de l'ancien mur entre la cuisine et le salon. Changer les menuiseries des fenêtres. Mettre du double vitrage. Tailler la pelouse. Acheter du mobilier de jardin. Une tondeuse. Un vrai fil à linge. Clôturer les bords de la Boivre. Et changer la porte d'entrée. Et tellement, tellement, d'autres choses. Qui demandait de l'argent. Un bon petit paquet. Et surtout l'envie de le faire. Ce dont Karim était à l'heure actuelle dépourvu. Il la regarda mettre son soutien gorge en dentelle et enfiler son tailleur puis se recoiffer devant le miroir empli de buée de la salle de bains, ses escarpins aux pieds. Son téléphone sonna comme il faisait couler son café. Il ne comprit pas ce qu'elle disait ni à qui elle s'adressait. Elle le lui dit. - Mon taxi est arrivé. Je t'appelle. - OK. Elle descendit avec lui dans le jardin. Un brume épaisse le recouvrait et il faisait presque froid. Humide surtout. Il voulut l'accompagner jusqu'au guéridon du jardin mais elle l'embrassa à côté de son fauteuil de camping et de son carton ramolli. Elle lui dit une nouvelle fois qu'elle l'aimait. Et elle partit une nouvelle fois. Il la suivit du regard et avança à sa suite comme un chien battu. Fataliste, il s'était fait à leur relation et était près à la vivre jusqu'au bout. Ainsi voulait il y mettre du sien et lui faire au revoir depuis le guéridon. Comme pour maintenir l'illusion qu'ils étaient ensemble. Devant la rue Maillochon, il ne fit rien pourtant. Il la regarda juste monter dans un Audi Q7 rutilant et embrasser le conducteur. Un jeune éphèbe à côté duquel Karim ressemblait plus vivement encore à ce qu'il était devenu. Une épave. Une épave enragée. Il jeta son café dans l'eau et remonta prendre une douche. Il se rasa, se brossa les dents et but deux verres de vodka coup sur coup puis prit sa voiture. Il ne mit pas plus de dix minutes pour arriver au palais de Justice . Cela lui permit de voir le Q7 filer et Solène refermer le battant de l'imposante porte du Palais. Il monta sur le trottoir et mit les warning. Puis il grimpa les marches quatre à quatre. La porte lui sembla légère. - Eh Solène ! Elle était en discussion avec un homme qui pouvait être son père. Il portait la robe des juges. Noir de jais avec l'écharpe blanche immaculée. Il était dégarni et svelte. Rasé de près. Ce fut lui qui le vit en premier. - Dis moi, j'ai peut-être beaucoup de défaut, mais je suis encore assez courageux pour éconduire quelqu’un. La double vie je ne sais pas ce que c'est. Je ne suis pas un salaud. - Qui êtes vous monsieur ? Qu'est ce qui vous arrive ? - Ta gueule le vieux. - Vous avez bu ! - Solène, regarde moi. Regarde moi et dis moi en face que je suis un con pour toi. Allez aie un peu de courage, salope. Toutes tes maniè... Karim n'eut pas le temps de finir sa phrase. Il vit juste le juge faire un signe de tête aux policiers en faction . Lui ne les avaient pas vu, aveuglé par sa folie. Ils le plaquèrent en deux secondes face contre terre et lui passèrent les menottes malgré sa résistance. Puis ils le relevèrent et il croisa le regard de Solène avant qu'ils ne le tournent vers la sortie. Les larmes qui le baignaient lui semblèrent aussi aiguisées que des poignards. Elle les plongea droit dans son cœur. - Oui, Karim, tu n'es qu'un con. Et tu vas avoir tout le temps d'y penser maintenant.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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