Noé avait toujours regardé les SDF avec une compassion feinte. Au fond de lui, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'à un moment ou un autre, ils n'avaient pas été capables de prendre la bonne décision. De voir juste. Et de fait, voyait en eux, autant des victimes que des pauvres types. Ceux qui n'ont pas su choisir la bonne voie lorsque immanquablement ils avaient eu à en faire le choix. Des Boloss' comme disait déjà sa grande. Alors que la pluie recommençait à tomber sur le terrain du Jardin des Plantes, il se dit qu'il avait entièrement raison. Que sa fille avait entièrement raison. Et surtout qu'il en était un. Un Boloss'. Un pauvre type. Une victime. Karine avait trouvé les emballages des skenan que le morveux lui avait refilé dans le coffre à jouet de sa petite. Avec les autres emballages. Tous vides. Quand il rentré de sa journée, le cœur léger, le foie presque libre et le skenan toujours actif il avait le sourire de ceux qui vont avoir droit à un peu de réconfort. Dehors le ciel était déjà noir et les éclairages faisaient scintiller les gouttes de pluie qui, averses après averses, s'abattaient sur le centre ville de Poitiers. Il était heureux. Camé jusqu'au bout de sa vie en poussant le porte de son foyer. « C'est moi » avait il dit, le sourire au lèvres en accrochant à la paterne son manteau avant d'enlever ses chaussures. La suite avait été violente. Extrêmement violente. Comme un retour sur terre. Sans parachute. - Tu sais, je le savais. Je le savais depuis le début - De quoi tu parles ? - De ça. Entre Karine et lui, le coffre à jouet de sa fille ne contenait plus que les emballages de ce qu'il n'avait pas pu jeté. Ils avaient fini parce que Karine n'était pas loin. Et qu'elle risquait de le griller. Ou simplement, parce que sa fille dormait et que c'était bien commode. Ce n'était pourtant qu'une toute petite partie. Une sorte de partie émergée de l'iceberg. En cherchant quoi dire, il vit la scène telle qu'elle était. Lui. Le coffre et la dope. Elle. Il comprit alors ce qu'était devenu sa vie. Et ce qu'il avait omis de voir. Entre elle et lui, s'insinuant pour mieux le protéger de ses fractures, la dope avait fini par l'éloigner de tout. Y compris du bon côté de la vie. La dope. Entre elle. Et lui. Il n'eut pas le temps d'argumenter. - Je te laisse un pull et un t-shirt plus toute la dope que tu as planquer. Cinq minutes. Après je veux entendre la porte se fermer. Et trouver ton trousseau de ce côté ci. Ne cherche pas à revenir. Ne cherche pas à voir tes filles. Ne cherche pas à me supplier. Sinon c'est police, harcèlement, prison. Tu sais que je ne plaisante pas. Il hocha la tête. Elle aussi. Elle vida le coffre, répandant à ses pieds les capsules vides et lui jeta un sac poubelle. Puis elle retourna dans la chambre de sa fille qui l'appelait pour récupérer son coffre. Noé était allé prendre son pull et son t-shirt ainsi que le dernier actiskenan que lui avait refilé le morveux. En passant devant la chambre de sa fille, il croisa le regard de sa femme. Il y avait toute la souffrance qu'il n'avait pas eu le courage d'affronter. Elle détourna son regard pour se concentrer sur ce que lui disait sa fille. Il continua son chemin. Il n'avait même pas envie de pleurer à cet instant. Trop camé. Maintenant que le dernier actiskenan était parti avec les eaux du Clain , oui, il avait envie de pleurer. Un boloss'. Un pauvre type. Une victime.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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