Il était en avance. Un peu trop sans doute. Les voitures se garaient sur le parking refait de ce qui fut autrefois le Tisonnier. A son époque, il y a peu, on n'y arrivait pas à 19h30. Plutôt minuit. C'était une boite. Aujourd'hui un afterwork/Night club/repaire de vieux fêtards. Il était pour elle. Ce qu'elle lui avait dit sur le parvis des urgences 24 heures plus tôt lui avait fait chaud au cœur. Et dans ses yeux, ses yeux à elle, il n'avait discerné aucun mensonge. C'est pourquoi il était sobre avant d'arriver. Pour être sûr. Sur que c'était vrai. Et durable. Elle était arrivée au moment il jetait sa flasque de vodka dans les indéracinables buissons longeant la partie est du parking. Il était gris. - Salut fripon ! - Salut - Oh non... - Quoi ? - Rien. Viens faut que je te présente. Elle était déjà une bonne demi douzaine de mètres devant lui. Il n'avait pas envie de la suivre. Il avait envie de la suivre. Il voulait parler. Il voulait boire. Il était confus. Tout était confus. - Je te présente Robert, il bosse avec moi et c'est Clémence, ma cousine. Et là Jérôme son mari. On y va ? Il serra les mains et fit la bise à ceux à qui cela revenait sans dire un mot. Il voulait être seul avec elle. Il sourit comme il le pouvait. Le journée avait été longue. Et l'alcool, il en prenait conscience un peu plus chaque jour, alourdissait ses journées plus qu'il ne pourrait bientôt le supporter. C'était comme courir un marathon tous les soirs dans son jardin et recommencer le matin. Cette fois sans chaise ni pause cigarette. Épuisant. Devant, ils riaient. Il avait juste envie de lui parler. Elle fit la bise au videur qui leur fit couper la file et il les suivit dans un lieu qu’il ne connaissait plus. Il furent bientôt assis à une table ronde coupée du reste de la salle. Le bruit était tellement faible qu'ils pouvaient parler normalement. Cela n'allait pas l'aider. Il pensa à la vodka qui commençait à brûler calories et neurones. C'était sa chance. Parler franchement. Ne rien éluder. Et avoir l'inconscience pour rire de leurs sarcasmes. Il restèrent une dizaine de minutes à échanger sur une carte maigrelette puis se décidèrent pour des tapas à volonté et de la sangria. Karim avait déjà tenté la sangria. Trop fade. Trop aqueuse. Il se fit remarquer pour la première fois en commandant une double vodka frappée. Les sourires en coin allèrent vers Solène qui eut la décence de faire un demi sourire gêné. La soirée commença alors et bien vite il en fut le centre. Était ce un test ? Était une manière pour elle de savoir s'il pouvait vraiment faire partie de sa vie ? Il s'était jusqu'à présent posé la question dans l'autre sens. Et c'était bien moins angoissant. Il recommanda une vodka lorsque Clémence insista sur son métier. - Mais ça veut dire quoi être aide soignant exactement ? - On aide. On soigne. On écoute. On soulage. On surveille. On accompagne. Et on sourit. Tout le temps. Même quand c'est impossible. - Voila qui est clair. Et ce qu'on dit sur les conditions de travail ? Est ce vrai ? « Est ce vrai ? ». Il fit signe au serveur que son verre était vide en pensant à cette tournure grammaticale. Chez lui, chez les siens, on disait « c'est vrai ? » ou « Est ce que c'est la vérité « ? ». Ou mieux « C'est la vérité ? ». Pas « Est ce vrai ? ». Il vit alors pour la première fois ceux qui l'entourait. Ils étaient décontractes. Mais avaient vestes et blasons. Talons et chaussures cirées. Chemisiers blancs et chemises vichy. Même Solène. Lui avait un sweater à capuche. Des jordan au pied. Et de bien mauvaises manières. Il lui fallait partir. Tout cela était une erreur. Une terrible méprise. La vodka arriva et la première gorgée eut raison de sa volonté. Il pensa comme on assiste à une épiphanie à Aisha. Son visage disparaissant pour le laisser les yeux rivés sur son verre givrée. Robert revint vers lui alors. Il ne savait pas ce qu'ils s'étaient dit entre temps. Ni combien de temps avait duré cette hallucination. - Parlez nous donc de sport. Il paraît que vous jouez au basket. - Le basket. Oui. - Quel club supportez vous ? - Ici ou aux USA ? - Oh. Comme vous voulez. - Ici je suis une fervent supporter du CSP Limoges . Ce sont à jamais les premiers. Ils m'ont donné envie de jouer. Plus que tout le reste. Plus que Micheal Jordan. - Comment ça les premiers ? - Les premiers à remporter une champion's league. - Vous m'en direz tant ! Et les résultats sont toujours là ? - Ce club est est phénix. Il est mort. Sur un triplé. Et maintenant il revit comme jamais. Vous êtes déjà allé à Beaublanc ? - Beaublanc ? - C'est leur salle. Un miracle de chants partisans et une ambiance digne de la yougoslavie. - Parce que les yougoslaves jouent au basket ? - Vous plaisantez ? Ce sont la référence européenne. Les meilleurs joueurs. Il ne sut pas alors combien de temps il parla basket. A la fin, il ne se rendait même plus compte que son verre de vodka ne désemplissait pas. Et il parlait. Parlait basket. Évacuait tout le reste. Revivait les chants des supporters. Partageait encore le bruit de la salle lorsque le match bascule. Et voyaient leurs sourires. Comme une trace de leur émerveillement. Il était fin saoul. Et fier. Avec l'indescriptible sensation de leur être supérieur. Mais, comme le veut l'adage, un jour il faut se réveiller. Cela s'était produit sur sa chaise de camping. Sa sweat était humide. Il avait froid. Et toujours le même verre à la main. Il devait être cinq heures du matin. 6 h12 exactement. Sa tête lui faisait mal. Après avoir compris où il était, il comprit aussi ce qu'il avait fait. Le con. Elle ne reviendrait pas. Il fallait qu'il arrête de boire. Cela lui jouait de trop mauvais tours. De bien trop mauvais tours. Il n'était pas celui qu'il avait été tout au long de la soirée. Arrogant et vindicatif pour au final être aussi ridicule que ce qu'il disait. Si les dîners de cons avaient existé il en aurait été l'élu. Il se leva et jeta aussi loin qu'il le pouvait le verre. Il ne fit pas de bruit en percutant la surface de la Boivre. Il disparut. Tout simplement. Peut-être était ce aussi simple. Peut être était ce aussi simple de dire non. Il s'étira et remonta vers son logement. La porte grinça et il entendit les premiers bruits de ses voisins. Quand il fut à poil, après avoir pris une douche, il se dit que c'était heureux qu'il ne travaille pas ce jour. Quand il poussa la porte de sa chambre, avant de se glisser sous sa couette, il la reconnut au moment elle se tournait vers lui. Il resta figé, comme un cerf pris dans les phares d'une voiture trop puissante. Elle lui fit signe de venir et elle se lova contre lui, remontant son genou jusqu'à son entre jambe. Le résultat ne se fit pas attendre. - Je suis désolé pour hier soir. - Désolé pour quoi ? - Je crois que je les ai saoulé - Tu plaisantes, ils ont adoré ta compagnie - Vraiment ? Moi pas. - Tu es un spécimen à part fripon. Et ils ont aimé. Je peux te l'assurer. - Et toi ? Tu as aimé ? Tu as aimé me voir me couvrir de ridicule - Je vais te dire ce que j'ai aimé moi. Elle l'embrassa seules quelques femmes l'avaient jamais fait avant qu'il ne puisse parler à nouveau. Et tout disparut dans le maelström qu'était devenue sa cervelle.
7
chapitres
>>
<<
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
Depuis 2017
ALC Prods