Stéphane savourait son entrecôte comme s'il s'agissait d'un privilège. Alternant pommes de terre sautées et viande fondante, il se prenait pour un aristocrate. De fait, c'était un privilège de manger ainsi par rapport à 95% de la population mondiale. Mais à ça, il tâchait de ne pas y penser. Il n'y pensait pas d'ailleurs. Il pensait seulement au chemin accompli en l'espace d'un trimestre. Et de la reconnaissance de la justice de la République. C'était Jallais. Depuis le début. Depuis qu'il avait su par la bande que Favreau l'avait mis au courant de la visite pictave de Schlösser il en avait fait son coupable. Les dénonciations en cascade de polonais trop inquiets de perdre leur liberté avaient eu raison de ses protestations. Et avaient blanchi Stéphane. Sans oublier ce que l'avocate que la femme de Noé lui avait recommandé lui avaient permis d'obtenir des commanditaires. Le FIPC n'y avait pas survécu d'ailleurs. A part pour finir de lui verser, ce jour, le solde des dommages et intérêts qu'il lui devait. 300 000 au total. Du coup il était passé au bio, avait acheté le frigo à boissons pour cet été et payé l'ensemble de ses dettes au fisc et à ses fournisseurs. Il allait peut-être même voir pour lever des fonds et acheter les murs de son bouclard. Il finit son verre d'eau minérale et repoussa l'assiette nettoyée comme il fallait. S'il avait pu il aurait fait un petit somme. Mais il devait dejà avoir raté des ventes du fait même de cette célébration discrète. Il retourna une dernière fois sur le site de son compte en banque pour être sûr et se leva en se déconnectant. Nom de Dieu. Il était riche. Dans l'avenue du tiers état, il prit le froid de ce début d'après midi de décembre pour un avertissement. Ces rues ne comptaient pas tant que ça de personnes fortunées. Et le froid lui rappela combien il valait mieux baisser la tête et ne pas en faire étalage. Sous peine de redevenir ce qu'il avait trop souvent été. Un proie. Ou un aimant. Un aimant à vautours. En remontant sa capuche il pensa à Big O. C'était ainsi qu'il avait fini par voir Stéphane. lui en avait assez, Big O y avait vu une garde se baisser. Et cela avait bien failli l'emporter. En tournant avenue de la Fraternité, il se jura de ne plus jamais revivre ça. Plus jamais. - M. Peyroux ! M. Peyroux ! Stéphane sortit de ses pensées et reconnut aussitôt le type du PB86 . Il l'apostrophait depuis le parvis de la salle Philippe Chatrier. Un grand bonhomme dégarni chargé de la relation partenaire du club. Tenancier de trois boites de nuit pictave. Bon vivant et homme à femmes. Il s'était manifesté peu de temps après le verdict, il y a un mois environ. Il lui avait dit combien il était peiné de ce qu'il avait traversé et lui avait offert des places VIP. Ils les avaient acceptées. Un bon match de gala contre le voisin limougeaud. Ils avaient mangé des petits fours Karim, Noé et lui ensuite. Depuis le gars lui faisait presque la cour. Pour qu'il devienne partenaire. Pour que son épicerie soit sur les pancartes de la salle. Ou sur le programme. Ou sur le site internet. Il lui promettait un retour gagnant-gagnant. Le premier vautour en somme. - Je n'ai pas le temps, Monsieur Roturier. Je dois aller ouvrir. - Tant que vous ne m'oubliez pas... - Ne vous inquiétez pas pour ça. Bonne journée. - A vous aussi Il ne risquait pas de l'oublier. Il était même presque sûr que Roturier savait était son appartement. Celui ci faisait partie des carnassiers. On ne dirige pas la nuit pictave sans faire montre d'un certain appétit. En se baissant pour débloquer sa porte de magasin, Stéphane se demanda s'il allait devoir déménager. Peut-être que cela serait mieux pour avoir la paix. Et éviter tous ceux là. La porte ouverte, il ne put s'empêcher de faire deux pas en arrière et de se couvrir bouche et nez. Une odeur de produits chimiques si forte émanait de son épicerie qu'il hésitait à prévenir les pompiers. Il se tourna instinctivement vers le bas de l'avenue. Roturier avait disparu. Personne plus haut non plus. Pas de trace d'effraction sur les côtés de sa porte. L'odeur finit par se dissiper une fois qu'il eut regardé la porte de service. Il jura et entra en fonçant jusqu'à la remise. Encore ce foutu adoucisseur. Depuis qu'il l'avait installé pour sa fontaine, il avait déjà eu deux fuites. Il allait le changer. Et changer de plombier aussi. Pour avoir un bon truc. Bien installé. Quand il alluma la lumière, il ne pensa plus à son plombier. Mais à son avocate.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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