Le jour avait fini par venir. Puis il avait filé comme une comète, laissant Noé trempé puis sec puis moite. Il avait déambulé, se concentrant sur ce qu'il y avait autour de lui, histoire d'oublier ce qu'il n'avait plus à l'intérieur. Des plantes grasses sur le bord de la rocade intérieur. Des joueurs qui ne savaient pas shooter. Des vieux qui ne se souvenaient pas étaient les trottoirs, allant jusqu'à en ramasser une avant qu'un bus qui montait place du marché ne la fauche. Elle lui avait dit merci. Et à 19h30, alors que le froid, le manque et l'humidité le faisait frissonner, c'était la seule parole qu'on lui avait adressé. Peut-être devrait il rentrer chez lui. Oui. Peut-être que la colère de sa femme s'était dissoute dans la compassion. Au point de lui laisser le temps de se sevrer. Alors il pourrait la serrer, elle, la seule qu'il n'ait jamais aimé. Et alors tout redeviendrait, doucement, à la normale. Et lundi il irait travailler. Il prendrait le temps de s'excuser. Puis il recevrait tout le monde. Même Christian. Et il les écouterait. Il les écouterait vraiment. Pour savoir ce qu'il y avait derrière le professionnel. Histoire de voir la personne avant la ressource. Comme ils lui diraient sans doute qu'ils avaient admiré sa conduite. Sa droiture. Son abnégation. Coup après coup. Balle après balle. Peut-être. A moins que ce soit ce qui aurait déjà être fait. Être fait depuis des mois. Maintenant il était trop tard. Jamais Karine ne lui pardonnerait. Et puis, jamais il n'aurait le courage de se mettre à nu. Jamais il ne pourrait se passer d'actiskenan. Il hésitait presque à remonter le Clain pour retrouver celui qu'il avait jeté, idiot qu'il était, dans ses eaux. Pauvre type. Boloss. Victime. Il voyait presque sa fille lui dire les trois en même temps. Droit dans le cœur. Comme un point final. Et il frissonnait. Si fort. Si douloureusement. La place d'Armes et ses lumières de Noël ne réchauffaient rien. Surtout maintenant qu'il n'y avait plus personne entre les chalets en bois contre plaqué qui l'occupait. Bon Dieu. Si ça continuait il allait crever comme un chien. A cause d'une molécule. Et de son pouvoir. Si seulement il avait refusé la première. Si seulement il avait tenu tête à l’institution. Aux médecins. Il n'en serait pas c'est sûr. C'était eux qui avait instillé ce poison comme pour lui faire croire que la vie pouvait être indolore. Et après....Après les vautours s'étaient servis. Jusqu'à ce que lui ne soit plus que charogne. Stéphane. Sous ses grands airs de miraculé était un d'entre eux. Dire qu'il avait pensé à l'appeler. Un vautour. Son pote était comme les autres. Il lui en aurait fourni c'est sûr. La belle aubaine. Et Karim, perclus de culpabilité et de zèle mal placé, lui aussi lui aurait fourni. Tous. Tous lui aurait fourni plutôt que de l'écouter. Plutôt que de le voir pleurer toutes les larmes de son corps. Voilà qu'il avait chaud maintenant. Chaud et envie de taper. Il se leva du lego de la place d'armes et suivit les lumières. Il allait gueuler, gueuler si fort que les services de sécurité de la Préfecture entendrait sa douleur. Alors peut-être que ceux qui comptaient pour lui finiraient par en faire autant. Même si c'était derrière un paroi vitrée à l'épreuve des balles. Le Bastille/TAP voyait maintenant les gens rentrer pour s'évader. Devant un film convenu ou une trouvaille artistique propre aux happy few. Le Bastille, le TAP, même combat. La détresse des autres comme moteur et le regard que l'on porte comme protection. Bande de voyeurs. Il avait envie de tous les éclater aussi. Tellement envie qu'il en tremblait. C'est qu'il le vit passer. Tête basse et casquette de base ball enfoncée sur sa tête, il était évident qu'il fuyait. Le petit morveux. Le dernier vautour. Son apocalypse. Noé se mit à courir. - Hé ! Attends ! Le morveux se retourna puis le reconnut et détourna le regard, avançant encore plus vite. Mais la haine de Noé était telle, la chaleur qui le muait était telle, que même l'enfer n'aurait pu l'arrêter. Il le cramponna par le haut du blouson. - mon pote. J'ai rien pour toi. J'te connais même pas d'ailleurs. Lâche moi. En disant cela il lui adressa un coup au foie. Noé ne sentit rien. Il aurait pourtant. C'était de que tout venait. Que tout partait. Mais sa bile était depuis longtemps dans son sang maintenant. Il lui décrocha une droite surpuissante . Le morveux tomba , inconscient. La chaleur disparut en même temps. Et la pluie redevint réelle. Il leva les mains. Il leva les mains avant d'entendre ceux qui lui ordonnerait de le faire. Était ce cela la folie  ?
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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