La nuit était déjà tombée. Les pollution lumineuse avait bien du mal à éclaircir le ciel plombé par trop de nuages. Les voitures avançaient en accordéon le long du faubourg du pont neuf, faisant durer l'attente avant de pouvoir enfin se reposer. Pour la plupart. Pas Noé. Noé n'avait pas plus de lumière sous le crâne qu'il n'y en avait dans le ciel. Et au moins autant de nuages sombres. Et menaçants. Quand Noé était arrivé rue Magenta, quelques heures plus tôt, et qu'il avait compris qu'il n'y avait rien au delà, il avait fait demi tour. L'effet de la morphine avait déjà fortement diminué et sa tête commençait déjà à en réclamer d'autres. C'est que Karim l'avait appelé. Pour que Noé vienne les retrouver, lui et Stéphane, au Jardins des Plantes. Il ne souvenait plus exactement ce qu'il avait dit. Il pensait à sa femme . A ses filles. Ses filles qui devaient demander pourquoi il ne revenait pas. Et il avait, en plus de la sensation de manque, la honte qui emplissait la tête. Alors il s'était dit peut- être. Peut-être que c'était la solution. On dit toujours qu'il faut un endroit apaisant et familier et les bonnes personnes pour surmonter les murs que la vie dressent devant vous. Il était alors redescendu et était arrivé devant le moulin à eau au niveau du Jardin des Plantes un peu plus d'une demi heure plus tard. Il avait aperçu ses deux potes en train de se livrer un duel acharné sur le terrain qui lui avait servi de lit il y a moins de 24 heures. Il continua à avancer comme il s'arrêtait de jouer. Il crut que Karim l'avait vu lorsqu’il se dirigea vers l'entrée. Mais non. Il ne faisait que prendre leurs vestes de survêtement. Il retourna s’asseoir et Stéphane sortit un bout de journal de sa poche. Au fur et à mesure qu'il lisait, Karim semblait entrer à l'intérieur de lui comme pour se réfugier. Ce fut d'ailleurs le dernier à se lever. Une fois que Stéphane l'ait invité. Noé, lui, n’avait pas bougé. Il les regardait comme on regarde un match à la télé. Ou comme un astronaute regarde la terre. De loin. De très loin. Avec la drôle d'impression de ne plus en faire partie. Ils étaient dedans. Il était dehors. Hors la vie. Un frisson lui fit baisser la tête. Il constata que ses vêtements portaient les stigmates de sa nuit à la rue. De la boue sur le pantalon et la parka. Des chaussures en cuir crottées. Il prit conscience dans la foulée qu'il n'était pas allé au travail depuis deux jours. C'est là, entre deux frissons, qu'il les avaient laissé. Il avait traversé le boulevard et l'avait remonté jusqu'au premier arrêt de bus. Il y avait deux ou trois personnes qui attendaient. Il s'excusa auprès d'eux et regarda le plan de la ville pour trouver la ligne qu'il lui fallait. Personne n'avait levé le regard vers lui. Parce qu'ils s'en foutaient ? Parce qu'il mesurait pas loin de 2 mètres pour 100 kilos ? Sans doute un peu des deux. Et surtout à cause de sa tête. Une tête qu'il devinait dans la vitre arrière de l'abri. Des orbites creusées. Des yeux injectés de sang. Et la tremblote. Cette foutue tremblotte. La ligne 8 arriva 15 minutes plus tard. Deux bus étaient passés avant, emmenant les autres usagers avant lui. Il n'avait pas voulu savoir s'ils le regardaient maintenant qu'ils étaient en sécurité. Il avait trop de mal à contrôler son corps et à l'empêcher de trembler et de le faire souffrir. Il donna le compte au chauffeur et monta s'asseoir juste derrière, évitant tout regard jusqu'à ce que son arrêt ne soit annoncé . Rester calme. Penser que tout va s'arranger. Penser à ses filles. Penser à sa femme. Il allait les retrouver. Tout allait s'arranger.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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