Le gars l'avait rappelé dix minutes après que la pluie se soit arrêtée. Noé était dans le hall de son immeuble et il était trempé de la tête aux pieds. Il s'était retourné et avait vu un gamin de l'autre côté de la baie vitrée sécurisée au moment il allait décrocher. Il avait un grand sourire. Un grand sourire suffisant. Narquois. Dominateur. Arrogant. Mauvais. Il ouvrit pourtant le sas. - Suis désolé mon gars, hé ! C'est cossu chez toi. Tu me paies une bière ? Noé s'avança sur lui, projetant l'ombre de son double mètre jusqu'à occulter la lumière du couloir pour ce petit merdeux. Il ne perdit pas son sourire diabolique pour autant. Il leva juste les mains en signe d'apaisement et reprit la parole. Il valait mieux qu'il soit clair et concis parce que Noé souffrait tellement qu'il n'était pas sûr d'appréhender des propos trop compliqués. Il garda les poings serrés. - Okay, oookkkaaaaayyyyy. On a l'air bien frustré. comme ça je dirais 12 heures. - 18 et 27 minutes. - Ah ! On parle. Le gamin farfouilla dans ses poches et sortit deux cachetons emballés comme ceux que les toubibs lui filaient à l’hôpital. Gage de qualité. Source probable d'origine facilement traçable. Il n'avait cependant pas le luxe d'être parano. Il lui prit des mains et lui donna un billet. - Et pour le reste ? - Écoute monsieur, j'ai quelques problèmes d'approvisionnement. Une tuile qui m'est tombé dessus. Figure toi que j'étais en train de me rendre chez ma douce loge aussi tout ce qu'il te faut quand elle m'a app... - Rien à foutre. Où et quand si tu veux le reste ? - Demain. Je traîne souvent entre la préfecture et la mairie. Je pense pas me faire de chirurgie plastique. Tu saura me rec... - Dégage. Le gamin releva les bras en signe d'apaisement et franchit le seuil à reculons. Noé eut envie de lui défoncer le crâne. Histoire de voir disparaître définitivement son sourire de petit malin. Il était encore à s'imaginer ce qu'il serait après un tel carnage que le gamin avait disparu. Il ne savait pas vers il était allé. De tout façon, on était dans l'hyper centre. Il pouvait prendre à droite pour filer ensuite à gauche et vive versa. Impossible de savoir s'il était du coin non plus. Noé ne faisait pas tellement attention à ses voisins ni à ceux qui traînaient dans le coin. Pourtant les manières du gamin,- il devait avoir quoi ? 20 ans ? 22 ans ? - en faisait bien un résident de la vieille bourgeoisie de l'hyper centre. - Ça va monsieur Ouedraougo ? Dites donc vous avez pris l'averse on dirait. - Bonsoir madame Bourgain. Oui, impossible d'y échapper. Bonne soirée. Il ne s'était pas rendu compte non plus du temps qu'il était resté à fixer les ténèbres jaunes phosphore de la rue derrière la vitre. Il était presque catatonique. Dans sa main, il sentait les emballages des cachetons lui lacérer la paume. Sans doute plusieurs minutes. Assez longtemps en tout cas pour que la logeuse trouve ça suspect. Il reprit ses esprits l'espace d'un instant et la salua en prenant l'ascenseur. Il avait l'impression que tous ses muscles allaient se tétaniser. Il avala le skenan en se disant que demain il irait au relais Charbonnier. Il avait besoin d'aide. C'était une évidence. Il devait se sortir de tout ça. Ça devenait dangereux. Mais en arrivant devant la porte de leur appartement, il pensa à Karine. Et à ses filles. Surtout à ses filles. Elles devaient être couchées maintenant. Il y avait école demain. Mieux valait ne pas les exposer à ce qu'engendrerait une prise en charge . Les toubibs. Les séances de psychothérapie ou il ne savait quoi encore. Putain dans quel merdier est ce que je suis en train de m'enfoncer pensa t il comme la douleur s'éloignait et que Karine le serait dans ses bras.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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