Stéphane avait laissé passer au moins deux opportunités. Depuis qu'il était arrivé, en avance, au commissariat des Couronneries, les flics l'avaient fait poireauter, mis sous tension, puis il avait viré parano. Ils allaient le serrer. Il avait entendu l'un des cow boys qui avait répertorié la dope dans son arrière boutique dire à son pote qu'il le tenait. Que c'était bon. Stéphane n'avait pas réfléchi au delà de sa propre condition. Et de son passé. Il n'avait même pas cherché à savoir qui lui en voulait autant. Pas la peine. Il entendait encore le cousin de Big O lui dire de ne plus jamais refoutre les pieds à l'horloge. Quant à savoir le fin mot de l’histoire, c'était le dernier de ses problèmes. Il ne retournerait pas en taule. Ni à la Pierre levée. Encore moins à Vivonne. Pas question. Pourtant, il avait laissé l'inspecteur Dujour c'était son nom lui dire qu'il fallait qu'il les suive au commissariat central. Il avait bien demandé pourquoi. L'inspecteur lui avait dit parce que. Ca sonnait comme une mauvaise pub. Et une mauvaise blague. Au moment de les suivre docilement dans la peugeot banalisée, il avait eu sa première chance. Place Coïmbra grande ouverte. Des plots pour bloquer les voitures. Des passants pour empêcher les balles. Il n'y avait pensé que trop tard, quand ils étaient arrivés Porte de Paris et que la deuxième opportunité s'était manifestée. Feu rouge. Des voitures partout. Un capharnaüm de fin de journée. Et la porte déverrouillée. Il en avait pris conscience qu'une fois dans la salle d'interrogatoire, de cette seconde opportunité. Il se maudit d'être aussi lent lorsqu’il vit le commissaire Favreau entrer dans la pièce. Bizarrement, cela le rassura. Rapport à leur histoire. Et à son air de Droopy fatigué. - Bonjour Stéphane - Commissaire Favreau commençait à blanchir durement. Des tempes au sommet du crâne, les filaments gris se mêlaient à la fumée grise de sa vapoteuse au débit de locomotive. Une odeur de caramel un peu trop sucré se mit à prendre possession de la pièce. Et il n'avait toujours aucune menotte au poignet. Son magasin était juste fermé d'un tour de clé. Et il venait, il y a moins de quarante huit heures de se faire bouffer l'arrière cour. Autant dire qu'il n'attendit pas que Favreau ait fini de réfléchir. - C'est quoi cette dope Commissaire ? Qu'est ce qu'elle est venu faire chez moi ? - Doucement, Stéphane, doucement. Une question à la fois. - Qu'est ce que je fais ici ? L'inspecteur Dufour... - Dujour - Si vous voulez, le cow boy m'avait dit que c'était pour l'assurance. - C'est vous qui délivrez ce genre de broutille maintenant ? Bien que l'intention fut celle là, Favreau ne perdit pas un instant son flegme. Il finit de tourner autour de la chaise de l'autre côté de la table qui le séparait de Stéphane en tirant deux fois sur sa machine. Signe de stress comprit aussitôt Stéphane avant que le commissaire ne s'assoit. Il le connaissait trop bien pour ne pas comprendre que c'était lui, Stéphane, qui était en position de force. Il avait besoin de lui. De quelque chose qu'il pourrait faire pour lui. Et comme toujours il était trop bien élevé pour ne pas peser ses mots. Encore une fois, Stéphane pensa à son bouclard. Seul, mal fermé, vulnérable. - Elle est de chez vous, c'est ça ? Le commissaire baissa son bras droit, faisant disparaître sa vapot' pour plonger son regard dans celui de Stéphane. Il était ardent. Et dur. Terriblement dur. Comme si Stéphane avait dit quelque chose qu'il ne pouvait pas deviner. - Il faut que vous portiez plainte, Stéphane - Hein ? - Nous avons tout le reste, il nous faut juste un point de départ. Il faut juste que vous portiez plainte. - Et que je me retrouve avec la moitié de Saint Eloi sur le dos ? Non mais vous savez comment fonctionne cette ville ou pas ? Ce fut au tour de Stéphane d'être désorienté. Favreau venait de perdre son regard de tueur. Sa vapot' était réapparue dans le cadre et il souriait presque. On aurait pu croire qu'il était content. - Vous êtes loin de la vérité Stéphane. Très loin.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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