La pluie n'arrêtait pas. Elle tombait encore et encore sur Poitiers comme frappé d'un destin funeste. A moins que ce ne soit simplement la saison. Ou son propre Destin qui était marqué d'une fin funeste. Noé ne savait plus très bien. Il était en manque. Et tout ce qui lui passait par la tête le faisait frissonner. De peur. De joie. D'extase. Et surtout de douleur. Planqué sous les arcanes du Bastille, il attendait celui qui lui ferait recouvrir la raison avec impatience. Beaucoup d'impatience. Mais seule la pluie s’égrenant jusque du rebord des arcanes se montrait à lui. Alors il ne savait plus ce qui craignait le plus. La fin du monde ou le moyen de l'oublier. Dans les deux cas, il souffrait. De peur. D'angoisse. Après tout c'était de sa faute. Tout était de sa faute. Il avait décidé d'arrêter un narcotique comme on arrête la clope. Avec volonté. Cela avait tenu douze heures. A midi ce jour, il avait tellement chaud/froid, qu'il s'était dit qu'il n'y arriverait pas. Pas tout seul. Il avait surfé sur le web. Il avait trouvé des sites pour toxicos. Mais s'y connecter revenait à reconnaître ce qu'il était. Et cela, il ne pouvait l'assumer. Il n'était pas toxico. Il était malade. Il avait subi une lourde chirurgie. Et les douleurs nécessitaient les antalgiques qu'il prenait. Et si les toubibs ne lui en fournissaient plus c'est qu'il était trop fier pour reconnaître qu'il était vulnérable. Surtout du côté droit. Juste en dessous des côtes. Précisément la le corps métabolisait ce qui lui était devenu indispensable. Alors, il avait tenté d'appeler Karim, il avait laissé sonner puis avait raccroché aussi sec. Ce n'était pas une bonne idée. Cela équivaudrait à prendre une leçon de morale. Ou pire, à devoir s'expliquer. Voire à devoir reconnaître son addiction. Il avait pourtant rappelé une nouvelle fois. Il était tombé sur la messagerie. Il avait aussi coupé l'appel. Quoi dire ? «  Dis, t'aurais pas de la morphine à me dépanner ? » Il ne savait pas exactement comment fonctionnait l’hôpital mais il savait qui le fréquentait de manière chronique. Les insuffisants cardiaques. Les insuffisants pulmonaires. Les alcooliques. Les toxicos. Autant dire que ce genre de marchandise devait être sacrément surveillée. Certainement sous clés. Fermé à double tour dans le QG des services. Ou peut-être même fourni sur commande depuis un bastion pharmaceutique imprenable. Stop. Il délirait encore. Il renifla un grand coup et réajusta sa casquette avant de franchir le seuil du Bastille. Sous la pluie, il tourna la tête de droite et de gauche. Toujours personne. Pas un chat. Pas un chrétien. Pas son foutu de putain de dealer. Il l'avait trouvé en essayant de joindre Stéphane. Il savait que celui ci ne lui fourguerait rien. Il savait aussi qu'il se ferait jeter. Voir emmener de force à l'hosto pour une cure de désintox musclée. Mais il connaissait une partie de son carnet d'adresses. De son ancien carnet d'adresses. Rapport à l'affaire du Futuroscope Resort . Il avait sorti ses dossiers quand il était rentré à midi chez lui. Il s'était rassuré en se disant qu'il était quelqu'un d'organisé et de prévoyant. Dans son bureau, il avait trouvé trace d'un jeune, à peine 18 ans à l’époque qui s'était fait serré avec du cannabis et que les avocats véreux de l'affaire avant tenté d'arnaquer. Sans trop savoir pourquoi ils avaient vite lâché l'affaire. C'était sa chance. Et son risque. Soit le gamin avait persévéré. Soit ceux qui l'avaient protégé l'avaient extirpé de sa routine. Il y avait un numéro de portable. Il l'avait appelé depuis la place d'armes. Histoire qu'on ne puisse relier le coup de fil à chez lui. Un truc de paranoïaque. De toxico en manque. Le gamin avait décroché à la deuxième sonnerie. - Ouais ? - Bonjour - Ouais ? - Vous êtes bien... - Hopopop. Pas de nom. Tu veux quoi ? - … - Allez, tu veux quoi ? - De la morphine  - Injectable ou cacheton ? - Comprimé. - Oxycontin ? Skenan ? Actiskenan ? Oxynorm ? - Skenan. Et actiskenan. - Hiiiiinnnnn. On connaît la musique. 19h. Le Bastille. T'en auras pour une semaine si tu me files un violet. - Y'en a plus. - Alors rapportes 5 verts. N'oublie pas. 19h. Le Bastille. - Comm.... Il avait regardé la photo épinglée au dossier et avait tenté de s'imaginer comme ce gamin avait mûri pour trouver la réponse à la question qu'il n'avait pu lui poser. Puis il était sorti avec short et baskets. Il ne retournerait pas au boulot. Et personne ne lui demanderait quoi que ce soit. L'affaire du FIPC lui avait donné un peu de mou. C'était eux, ceux qui lui serraient la gorge, qui étaient emmerdés en ce moment. Arrivé au Jardin des Plantes, il avait chaud. Très chaud. Il avait commencé à faire quelques shoots mais il ne pouvait pas lever le bras droit. Il avait eu froid subitement. Obligé de s'asseoir, il avait regardé les quelques amateurs s'échiner à mettre un panier avant que la nuit ne tombe. Ensuite il était rentré et avait pris une longue douche. Il était 18h30. L'heure d'y aller, des fois que le Père Noël soit en avance. Il avait chaussé une casquette de base ball, histoire de ne pas être repéré et puis la pluie s'était mise à tomber. Il était 19h45 et elle tombait toujours. Deux types en imper venaient depuis le commissariat comme il ressortait sous les trombes d'eau. Et si c'était un piège ? Et si le gars était un indic ? Ou pire un flic maintenant ? C'était peut-être pour ça que les les baveux avaient vite lâché l'affaire ? Il ne prit pas la peine de croiser le regard des deux gus et fila à l'opposé. Vers chez lui. Là au moins, il lui restait du paracétamol.
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L’ANTIDOTE
Un regard sur la nuit
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