Karim était incapable de dire s'il rêvait ou s'il était mort. Alors qu'il lui semblait flotter sur une mer calme, il entendait la voix de Sarah l'appeler à la rejoindre. C'était une voix aux intonations douces. Elle lui parvenait comme une caresse sur la joue. Et il n'avait ni l'envie, ni le besoin de rejoindre le rivage ou de sortir de l'eau. Il était bien. Serein. Comme si le temps et l'espace n'avait plus aucune importance, puisqu'il avait tout ce qu'il lui fallait. Pourtant, il voulut entreprendre de rejoindre une île qu'il devinait à quelques encablures. Il eut alors l'impression de tomber de plusieurs mètres comme il amorçait son premier mouvement de nage. Et tout réapparut devant lui. Il avait laissé Stéphane en plan pour se ruer à l'extérieur du centre commercial de Beaulieu. Les pneus de sa voiture avaient crissé dans les virages. La Porte de Paris était tellement bloquée qu'il était passé par Montierneuf pour rejoindre l'autre côté de la gare. Son téléphone sonnait dans le vide à chaque fois qu'il composait le numéro de Sarah. A chaque fois le message enregistrée lui paraissait plus inquiétant comme il s'approchait du Relais Charbonnier. Il s'était garé en deuxième file provoquant une pluie de klaxons et de quolibets. La porte était ouverte. Il était entré et avait senti l'odeur de papier brûlé. Il avait vu que tout était sans dessus dessous. Il avait appelé Sarah sans qu'il ne reconnaisse sa propre voix. Il était monté au premier étage et n'avait vu personne sur les lit de secours. Seulement des tas de papiers qui finissaient de se consumer. Il était redescendu et avait appelé la police. Ils allaient venir. Puis il avait appelé à nouveau Sarah. Elle n'avait pas répondu. Il ne pouvait pas attendre la police, alors il avait filé jusque sur le trottoir d'en face. Il y avait une agence des assurances Axa. Il était entré et sans dire qui il était il avait demandé à la secrétaire coincée derrière son bureau en formica si elle avait vu quelque chose se passer en face. Elle avait été tellement effrayé par sa voix, qu'elle n'avait rien dit. Il avait répété plus posément sa question et elle lui avait dit qu'elle n'avait rien vu. Il était tard et la nuit était tombée tôt aujourd'hui avec le temps gris. Il était sorti et avait regardé autour de lui en composant le numéro de Sarah. L'avenue de la Libération semblait glisser inexorablement vers la gare et la butte qu'elle dévalait donnait à voir tout le quartier en un seul coup d’œil. Il y avait tous ces nouveaux bâtiments de verre et d'aciers polis qui reflétaient la lumière froide des lampadaires du boulevard du Grand Cerf bien après le parvis de la gare. Puis, en remontant, il y avait le rond point de la gare les taxis laissaient aller leur mauvaise humeur sur les voyageurs perdus et, dessous, le tunnel que les pictaves empruntaient tout feux allumés pour ne pas avoir à ralentir. En remontant encore vers lui, il y avait les hôtels de passage à gauche et en face la caserne des pompiers de la ville . Un bâtiment hermétique et tout de béton armé avec ses grands rideaux métalliques derrière lesquels attendaient matériel et personnel. Au dessus comme une vigie se trouvaient quelques trouées de verre dans cette façade presque soviétique. De on voyait tout aussi. Même ce qu'il se passait en direction de Blossac, le long de l'avenue de la Libération. Il dévala la pente et arriva à bout de souffle devant les rideaux gris. Il chercha l'entrée sans rien trouver. Il bascula le long du pont qui enjambait les voies ferrés pour rattraper le boulevard Maillochon sans trouver quoi que ce soit. Puis son téléphone vibra et sonna dans sa main. - Sarah ? - Remontez la pente Jaïsh. Elle vous attend là où vous êtes arrivé Le prénom de Sarah resta encore quelques secondes affiché avant de disparaître de l'écran. Il courait déjà . La bile était remontée dans sa bouche et ses jambes étaient en feu devant le Relais. - Sarah ? Il y avait du bruit à l'étage. Il avait mal et était à bout de souffle. Les marches des escaliers ne semblaient pas exister. Et le visage qu'il vit en arrivant dans la chambre ne portait pas les traits de celle qu'il cherchait mais ceux plus épais et campagnard de celui qu'il redoutait. - Bouchet! C'est au moment il ressentit à nouveau la balle lui perforer le pied droit qu'il comprit qu'il n'était pas mort. - BOUCHET ! Sa chute s'arrêta net et le vertige disparut aussitôt. Il était allongé sur un sol froid comme la mort et son pied l'assaillait des pulsations de son sang comme autant de couteaux qui perforaient et re- perforait sa voûte plantaire. Dans la pénombre il vit alors ce qu'il avait cherché. Sa tête posé sur les genoux de Sarah, il vit son visage penché sur lui et sentit sa main lui caresser la joue pour le calmer. Il se redressa et vit qu'elle n'avait pas subi d'outrage, même dans le noir elle pouvait illuminer son cœur. Elle lui fit signe de ne rien dire en montrant un rai de lumière électrique en face du mur il étaient maintenant adossés côte à côte. Depuis leur pénombre, il voyait des pieds obscurcir leur seul lien avec le monde. Des voix montèrent alors puis un coup mât stoppa net le bruit de leurs paroles. Ils furent alors aveugles comme la lumière entrait dans la pièce et Karim sentit la main de Sarah venir se glisser dans la sienne et s'accrocher. La silhouette qui traînait derrière elle un troisième corps dans la pièce lui sembla familière. Le corps qu'elle laissa derrière elle l'était encore plus.
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L’ANTIDOTE
Le sang des damnés
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