Karim n'avait jamais vu autant de paires de jordan de toute sa vie. Cela ressemblait presqu'au paradis de son adolescence. Toutes les paires. Toutes les tailles. Toutes les couleurs. Il en avait presque la tête qui tournait et se demandait à combien pouvait s'élever le fond de commerce de son ami. Ainsi rassemblé dans l'arrière boutique de son magasin, alors que le bruit étouffé de la galerie marchande de Beaulieu se faisait à peine entendre, il eut presque l'impression de pouvoir rester encore des heures à contempler ces boites siglés de la virgule, des trois bandes ou du Jumpman. Chacune le renvoyait à un joueur. Chaque joueur à une histoire. Chaque histoire au jeu. L'envie de prendre un des ballons et de partir jouer sur le playground voisin le démangeait si fort qu'il n'entendit pas aussitôt Stéphane l'appeler. Il restait encore fort à faire. Depuis le matin 7 heures, ils avaient commencé à faire des allers retours depuis un entrepôt de la gare afin de prendre réception et d'acheminer la marchandise. Il restait maintenant tout le rayonnage à réaliser puis le ménage à faire afin que Stéphane puisse accueillir ses premiers clients dès le lendemain. Quand il lui avait demandé comment cela avait pu se débloquer si vite, Stéphane s'était montré très évasif et il ne l'avait pas harcelé non plus. C'était ses affaires, et il n'avait plus le cœur à s'en mêler. De toute façon, il avait déjà assez à faire de son côté. Après avoir quitté le Relais Charbonnier en ayant rassuré du mieux qu'il pouvait Sarah, il s'était empressé de prendre contact avec les deux flics parisiens. Le pire s’était confirmé. Bouchet était libre. Remise de peine pour bonne conduite. Son avocat avait négocié une absence total de surveillance. Pas de bracelet électronique. Pas d'émargement. Pas d'assignation à résidence. Si bien qu'à sa sortie de la Santé, il avait tout bonnement disparu. Les événements des derniers mois avaient contribué à ce que l'on finisse par se désintéresser totalement de lui. Il avait alors ensuite passé son après midi à surfer sur le Net à la recherche d'une quelconque trace de Bouchet. Il ne trouva rien d'autre que quelques vieux articles de la NR sur la mort de son fils, son interpellation houleuse. Il tomba néanmoins sur un Greffe du Tribunal de Levallois Perret qui faisait état des conditions et de la date de sa libération. Cela remontait à quelques semaines maintenant et mentionnait l'absence totale de condition à celle ci. Un élément retint son attention. Il était fait mention dans l'acte de libération d'une adresse Bouchet était censé avoir élu domicile. Quand il avait saisi l'adresse, il était tombé sur une congrégation chrétienne basée dans le 4ème arrondissement marseillais. Leur site faisait état d'un travail pour l'insertion des sans papiers, la distribution de repas aux démunis et tout un laïus sur la foi orthodoxe, une icône surplombant un appel au don sur leur page de commentaire. Même si tout semblait l'indiquer il ne croyait pas une seule seconde que Bouchet ait pu basculé dans la Foi. Quand il chercha à se renseigner davantage sur cette congrégation, il ne trouva rien de croustillant ou de louche et quand il tenta de savoir s'ils avaient d'autres antennes en France, il ne trouva rien. Ainsi laissa t il Bouchet là où il était. Il se demanda s'il devait appeler Sarah pour lui dire ce qu'il avait trouvé et savoir si elle connaissait cette congrégation, lorsque Stéphane l'avait appelé pour déménager. Depuis il n'avait cessé de brasser des cartons et la perspective de se contenter de mettre des chaussures sur des rayons soulagea son moral. Il n'en pouvait plus. Stéphane lui aussi semblait fatigué. Ils commencèrent d'abord à mettre les vêtements puis les chaussures en silence avant que Stéphane ne l'interpelle. - Je viens d'avoir Noé - Et ? - J'ai un nouveau patron - Hein ? Karim leva les yeux du jersey de Stephen Curry et regarda son ami, immobile à quelques mètres de lui avant de lui rentrer dedans. - Dans quelle galère tu t'es foutu ? - Il me fallait ce fric. Et il est clean maintenant, sûr. Karim ne laissa pas à son ami le temps de lui dire ce qu'il savait déjà. Il laissa le maillot de Curry et toutes les autres nippes trop chers pour lui et partit sans se retourner. Tout son être était déjà tendu vers le Relais Charbonnier.
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L’ANTIDOTE
Le sang des damnés
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