Noé émergea du néant en s'apercevant qu'il ne pouvait ni bouger ni parler. Ses pieds et ses poings étaient si étroitement liés qu'ils ne les sentaient pratiquement plus. Au fond, de sa gorge sa glotte sentait un chiffon bloquer ses cordes vocales et lui soulever le cœur. Ses yeux mirent un peu de temps à se rendre compte qu'il était dans une espèce de débarras. D'après ce que le clair obscur issu d'un rai de lumière derrière lui permettait de voir, il y avait des balais et un chariot de ménage. Une forte odeur de javel et de produits d'entretien lui saisit les narines alors qu'il reprenait pied parmi le monde. Le cagibi était tellement exigu qu'il ne pouvait qu'à peine déplier ses jambes. Il était vain de faire un quelconque mouvement sans risquer d'alerter ceux qu'ils devinaient derrière la porte. Il se dit que c'était peut être là sa chance. Un moment de répit. Peut être allait il trouver une solution pour se sortir de cette situation et alerter les flics. Au moment il allait tenter de se redresser, il sentit une main lui arracher son baillon, avant même qu'il amorce un mouvement de protection. Il reconnut le visage de Karim lui intimer l'ordre de se taire. Karim et une femme dont les traits lui étaient familiers sans qu'il puisse se souvenir ils s'étaient croisés l'aidèrent à se caler contre le seul pan de mur sans étagère ni balai. Sa gorge était si endolorie qu'il ne reconnut pas sa voix lorsqu'il les remercia. Devant l'insistance de Karim il garda ensuite le silence. Bizarrement, il se dit qu'au moins il n'aurait pas à le prévenir avant de se rendre compte de l’irrationalité de cette pensée. Son esprit était il en train de céder ? Il les regarda tous les deux et vit que le pied de Karim saignait abondamment, imprégnant le pansement de fortune qu'il s'était fait avec quelques chiffons. La femme à côté de lui avait le visage grave et il ne savait si elle cherchait à comprendre ce qui lui arrivait ou si elle se savait simplement condamnée. Ses traits étaient tirés et son attention semblait entièrement portée sur l'autre côté de la porte. Il se détourna d'eux et tendit l'oreille. Il reconnut instantanément la voix d'Herbelin puis celle de Bouchet. Elle s'interrompirent avant qu'il ne puisse saisir l'objet de leur échange. Une autre personne venait de franchir le seuil de la pièce contigu à leur cagibi. Un courant d'air froid arriva jusqu'à eux puis les voix résonnèrent à nouveau. Le ton monta d'un cran et il put saisir l'exact teneur de leur échange. - C'est quoi ce bordel Diakhité ? Depuis quand t'as décidé de nous doubler ? - De quoi tu parles Herbelin ? Personne ne double personne. - Ta gueule négro, mes gars ont trouvé de la dope à Beaulieu - Bouchet. Toujours aussi courtois je vois. - C'est ça... Tu mets en péril tout ce qu'on essaie de faire. Il faut te faire un dessin ou que je grave ce qu'on risque sur ton front. Négro. - Je n'ai jamais aimé les tatouages. Et le deal était que je garde vos poules et vos pions. Le reste ne concerne que moi. J'assumerai l'entière responsabilité des éventuelles conséquences. Face de craie. Des chaises grincèrent sur le sol alors que Noé vit presque Virandier saisir le type à la gorge. Le bruit des vêtements que l'on froisse ne lui laissa aucun doute sur la tournure que prenait la discussion. Une seconde plus tard, la voix de François Herbelin résonnait, monocorde et calme, à peine étouffée par la cloison de la porte qui les séparait. A côté de lui, Karim étouffa une plainte alors que la femme changeait le chiffon imbibé de sang recouvrant son pied. - On se calme tous les deux. Ecoute Alceste, il est bien trop tôt pour que nous prenions de tels risques. Mes appuis ferment les yeux parce que nous les débarrassons d'une belle épine et si j'ai pu revenir ce n'est qu'en acceptant de ne pas faire de vagues. Imagine si l'on apprend que nos gus vendent de la dope. Je suis mort. Et si je suis mort on plonge tous. Tu devais nous permettre de mettre du beurre dans les épinards avec les filles, pas de faire de notre devanture, un hall d'immeuble. Wild Cat doit rester clean. Si tu veux faire ton propre business choisis d'autres emplacements, ok ? - Ok, bien que je trouve dommage de gâcher une telle opportunité. - Tu remballes ta merde et tu vas chier dans les bottes de quelqu'un d'autre. Fin de la discussion. - Toujours aussi con Bouchet. - Espèce de... - Messieurs ! Il me semble que nous avons plus urgent à régler. Les voix baissèrent en intensité et bientôt Noé n'entendit plus qu'un murmure incompréhensible. Au bout de quelques instants, le murmure disparut lui aussi, remplacé par le froid venu de l'extérieur. Il reconnut le bruit mat d'un sac que l'on jette par terre et entendit, clair et audible, un homme parler en russe avant d'entendre le bruit d'une arme que l'on charge. Puis le sac sembla se rapprocher d'eux et le loquet de la porte fut déverrouillé. La dernière chose à laquelle Noé pensa avant que la lumière ne l'aveugle fut la chaux vive.
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L’ANTIDOTE
Le sang des damnés
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