Noé regarda Stéphane quitter son bureau la tête basse. Le sentiment de culpabilité accroché à sa conscience avait du mal à le laisser en paix. Ils avaient poussé, Karim et lui, Stéphane à changer de voie après les derniers événements. Ils l'avaient encouragé à s’inscrire à une formation de création d'entreprise, puisqu'il avait déjà les bases d'une gestion de commerce. Ils lui avaient dit de bien choisir son commerce. Ils l'avaient aidé et soutenu dans les affres juridiques et marketing, jusqu'à finaliser son business plan. Et quand il était venu le voir, lui, Noé, n'avait pas pu lui donner ce qu'il réclamait. Il avait refusé son avance de trésorerie, son fond propre, et la constitution de son stock. Il lui avait dit que c'était la crise. Que son marché ressemblait par trop à une niche pour grandes villes et que les malade de chaussures de sport ne couraient pas tant les rues pictaves. Il avait détruit ce qu'il l'avait aidé à construire. Et quand Stéphane le regarda avant de se lever, il vit ce que c'était que de décevoir un ami. Il lui avait bien conseillé de consulter ses concurrents et de mettre en valeur les formations qu'ils avaient suivi comme la pérennité d'établissements semblables dans des villes semblables, mais il savait pertinemment que lorsque viendrait le moment pour lui de dérouler son CV le black out de plus de dix ans de deal lui serait fatal. Il se demanda même s'il y avait une quelconque chance pour lui de se réinsérer. S'il y avait une quelconque chance pour qui que ce soit ayant eu maille avec la justice de se réinsérer autrement que comme larbin invisible d'une obscure entreprise artisanale. Car il n'avait pas de diplôme, pas d'expérience, pas de relations. Ils étaient Karim et lui les seuls êtres à même de témoigner de sa probité toute relative. Et son refus venait de saper leur crédibilité à lui et Karim. C'était cruel mais c'était ainsi. Il allait devoir se débrouiller seul. Tout comme Noé. La veille il avait reçu un appel du Directeur de la Section Grands Comptes de la caisse Nouvelle aquitaine et il ne pouvait pas dire que cela s'était bien passé. Il avait essuyer un quart d'heure de reproches sur la conduite des affaires de son pôle sur les derniers mois et l'absence de résultats probants des entreprises et projets qu'il avait financés. Les temps étaient dorénavant à l'investissement sécurisé et lui n'avait su en trouver sur son territoire. La ligne LGV construite et les projets immobiliers majeurs financés ailleurs, il devait bien reconnaître qu'il était passé à côté de plusieurs opportunités qui aurait rendu son bilan défendable. Il dut donc faire face en silence à ce qu'on lui reprochait, car c'était un constat et des faits avérés. Depuis l'épisode Bosquet, il n'avait su se montrer assez perspicace pour s'engager avec des partenaires nouveaux. Et force était de constater qu'il n'avait su entretenir en toute confiance des relations qui auraient pu être fructueuses. C'était là une vérité. Il ne faisait plus confiance à grand monde. Toujours est il qu'il avait, depuis l'appel, mis tout le monde sur le pont pour disposer ce matin même d'une synthèse exhaustive des projets ayant éveillé l'intérêt de ses collaborateurs. Lorsqu'il s'installa sur la table de réunion et regarda le soleil se lever, boule rougeoyante émergeant entre les interstices des immeubles de la rue Carnot, il comprit instantanément ce qui avait poussé le directeur général Pierre Fourcade à l'appeler précisément à la date d'hier. Le projet s'appelait Renovatio. Il s'agissait de la réhabilitation d'habitation à loyer modéré insalubre qui constituait un parc immobilier de plus de 300 logements répartis aux quatre coins de la ville. L'objectif de l'entreprise était de garder les murs et de tout casser à l'intérieur afin de proposer des appartement ou pavillons de standing à des prix accessibles à la classe moyenne. C'était la clé de voûte du projet. Qui lui assurait l'appui le plus important de Poitiers. Celui du maire et du conseil municipal toutes tendances confondus. Le maître mot était : mixité sociale. D'ailleurs la mairie avait déjà fait part que Sipea et Logiparc seraient parties prenantes, pour promouvoir leur vente ou leur mise en location. A terme, le projet serait de toute évidence une gageure dans le bilan de l’aménagement urbain de l'équipe municipale. Cependant pour arriver à ce lendemain qui chante, la somme en fond propre pour l'acquisition et la rénovation des logements était conséquente. 40 millions d'Euros. La mairie ne financerait rien. L'Etat non plus. Un partenariat Public Privé pouvait être envisageable à condition que Renovatio puisse se porter garant de l'ensemble des biens. Une fois les hypothèques et les projections de ventes établies, restait au Crédit Populaire à financer la somme toujours conséquente de 8,6 millions d'Euros. Le service de Noé avait financé bien davantage des projets biens moins solides. Le problème ne venait pas du projet, en fait. Il venait du nom qui figurait en gros un peu partout au fil du plan.
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