Karim regardait le plâtre de son pied droit et surtout le point des lèvres d'un rouge presque brun avaient été posées. A l'intérieur de cette coque en résine customisée, il pouvait depuis peu sentir à nouveau son pied. C'était douloureux à chaque mouvement. Ecarter les orteils lui était toujours impossible. Mais poser le pied lui avait rendu sa liberté. Et il était content de pouvoir claudiquer avec sa canne de grand père sur les bords du clain. La douceur et la lumière qui les baignaient en cette fin d'après midi de mai échappait à toute logique. Il se croyait en été. Son cœur était un hymne à la saison du renouveau à vrai dire. L'amour sans doute. Si tant est qu'il existe. Pour l'heure, il ne préférait pas y penser. Le terrain du Jardin des Plantes en vue, il ne pensait qu'à retrouver toute sa condition physique pour shooter, passer, dribbler. Et oublier. Il y a quelques heures seulement que l'épilogue de leurs démêlés avec la justice venaient de se finir. Depuis deux semaines, ils avaient été gardés à vue, puis placés sous surveillance, puis auditionnés et enfin ils avaient pu témoigner. Le juge d'instruction était une femme. Une quarantaine d'années bien tassées, sportive et stricte. Elle avait tout mis en œuvre pour que le droit soit rendu. Quitte à ce qu'il soit gardé devant ses collègues de la Milétrie. Quitte à ce que Stéphane soit placé en détention provisoire. Et Noé affublé d'un bracelet électronique. Les faits reprochés étaient graves. Meurtres avec préméditation. Association de malfaiteurs. Trafic d'être humain. Extorsion de fond. Trafic de stupéfiant. Prostitution. Blanchiment d'argent. Corruption. Dès que leur comparution avait été prononcé, les journaux avaient fait leurs choux gras de leurs mésaventures.. Il avait fallu alors que tout concorde. Qu'aucun ne protège quoi ou qui que ce soit. Stéphane et ses mauvaises fréquentations. Noé et son poste. Karim et son laxisme. Sarah et son passé. Entre les murs sales et malodorants de quatre cellules d'interrogatoires du commissariat central de Poitiers, il savait que tout avait été dit. Tout avait été avoué. Tout avait été déballé. De leurs relations à leur amendes impayés, de leur rancœurs à leurs lâcheté, révélant s'il en était besoin qu'ils n'étaient que des hommes. Pas plus propres les uns que les autres. Et aucunement différents de tous ceux qui passaient aujourd'hui à côté de lui, leurs bonjours couverts par le flot du Clain et leurs pensées profondes enfouis sous la façade avenante de la bienséance et du vivre ensemble. Touts ces témoignages brefs et fugaces que l'on existe les uns pour les autres, ils savaient maintenant qu'ils avaient eux aussi des racines profondes et vivaces. Car c'était elles qui les avait rendus libres. Littéralement. Les témoignages des femmes en fait géorgiennes sur le geste de Stéphane. Les mots de la secrétaire d'Axa. La vidéo du serveur du Mc Do des Portes du Futur. Et surtout l'exact concordance de leurs paroles sur les faits auxquels ils avaient pris part. Maintenant arrivé à la hauteur du vieux moulin jouxtant le terrain de basket, alors qu'ils ne s'étaient pas revus depuis leur dernière entrevue que la Nouvelle République avait qualifié de « charnier des Portes du Futur », Karim se demandait comment Stéphane et Noé avaient vécu tout cela. Lui avait pu compter sur Sarah. Qu'en était il d'eux deux ? Il poussa avec sa canne le portique vert et rouille du Jardins des Plantes et les chercha sur le terrain gravitaient une bonne vingtaine de joueurs. Il les aperçut au fond, tous les deux assis sur leur ballon visiblement en grande discussion. Comme ils ne l'avaient pas remarqué, il put les rejoindre et saisir le sujet qui les animait. - Tu peux pas. - Comment ça je peux pas ? Bien sûr que si. Tout le monde a besoin de manger, non ? - Oui mais ce qu'on a vu c'est pas adapté. Tu te rends compte des frais de mise aux normes - Merde. Merde et remerde aux normes. Je vais pas ouvrir une bouch... La main de Noé pointé vers Karim, Stéphane s'était arrêté net. La tête tournée, ils le regardaient tous les deux. Leur visages étaient graves, ils semblaient presque voir un fantôme. Puis leurs yeux se plissèrent et leurs visages se barrèrent d'un franc sourire avant que Noé ne dise ce qu'ils pensaient tous les deux. - Je te l'avais dit. Il est amoureux. - Il est épuisé ouais. Ils éclatèrent tous les deux de rire avant que Karim n'ait fini de s’asseoir et cède à son tour au fou rire.
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L’ANTIDOTE
Le sang des damnés
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