Il n’avait fallu à Hakim que le numéro d’appel. Karim le regardait comme il aurait regardé un magicien pour son numéro final. Il était en extase. Devant lui, juste au dessus de l’épaule de son beau frère, les numéros défilaient et toujours revenait régulièrement le numéro de Lazar. Il avait vu juste. Cet homme était son homme de main, pas de doute. Il l’avait laissé lorsqu’il avait commis l’erreur qu’il attendait. Quand il avait rencontré un Jean Claude Lazar particulièrement énervé. La raison de son courroux était la même qui avait occupé Norb toute la journée. Le smartphone de son patron. Et il était allé partout, Karim sur ses talons à bonne distance. Jusqu’à ce qu’il se séparent et que Norb, la nuit tombée se rende à Notre Dame la Grande. C’était la dernière installation de la biennale . L’attention de Karim était émoussée. Il savait ce que sa filature comportait de danger. La fatigue. La négligence. La lassitude. Ce qu’il avait vu l’avait réveillé. Ce qu’il avait vu avait mis tous ses sens en alerte. Norb n’était pas entré par la grande porte. Il n’était pas allé voir dans les recoins de la dernière installation de Kimsooja si le téléphone de son patron traînait. Non. Il avait fait le tour, regardant de droite et de gauche manquant à plusieurs reprises de repérer Karim, pour sortir une clé ancestrale et, à la base extérieure de la nef de la cathédrale, ouvrir une sombre porte en bois d’où, Karim eut à peine le temps de le constater, brillaient la faible lueur de bougies. La porte refermée, Karim s’était rapproché. Tellement rapproché qu’il avait l’oreille collée contre l’épaisse porte en bois médiéval. Et il entendit clairement des coups. Des coups de poings contre de la chaire. Le bruit mat ne laissait aucun doute. C’était sa chance. Il ouvrit la porte, croisa le regard de Stéphane puis celui de Norb qui se précipita vers lui. Il croisa une mouche qui s’échappait et l’odeur âcre de la terre battue. Il croisa le temps comme s’il s’étirait à volonté . Adrénaline. Adrénaline à haute dose. Il prit la clé et tira de toutes ses forces la porte, faisant lâcher prise Norb. Puis il donna un tour de clé et partit en courant dans la Grand Rue. Arrivé au pied du pont Joubert, il était hors d’haleine. Il regarda derrière lui. Seuls les commerçants se demandaient ce qu’un type en jean faisait à courir en fractionné dans la plus vieille rue de la ville. Il se décala pour ne pas être vu depuis le bar qui faisait l’angle à gauche de la rue et posa ses mains sur ses genoux. Il avait besoin de reprendre son souffle. Ses muscles étaient presque tétanisés. Depuis quand n’avait il pas couru ainsi ? Trop longtemps de toute évidence. Dans sa main, le clé en fer forgé était la preuve qui lui manquait. Restait maintenant à faire tomber les dominos. Et maintenant qu’il était avec Hakim, ils tombaient. Ils tombaient les uns après les autres. A vitesse grand V. Norb s’appelait en fait Norbert Saint Jean. C’était le responsable des espaces verts de la ville de Poitiers. Un homme de terrain. Un homme de main. Qui appelait le directeur délégué de l’A.R.S. tous les jours depuis que le Directeur Général du C.H.U. de Poitiers avait pris sa retraite. Il appelait aussi le responsable de la caisse régional du Crédit Populaire tous les jours. Juste après. Depuis que les chiffres de la mairie étaient tombés. Il appelait aussi le Direction Départemental des Finances Publics. Juste après. Le directeur de l’inspection général exactement. Depuis que le poste de D.G. était vacant. Il appelait tout ce monde. Et tout ces gens pourrissaient la vie de Noé, Stéphane et Karim. Cela ressemblait à une demande. Cela ressemblait à un service. Un service demandé. Restait à savoir la contre partie. Pour cela il aurait fallu pouvoir entendre le contenu de ces échanges. - Tu peux pas savoir ce qu’ils se sont dit ? - Quoi ? Les conversations ? - Oui. - Bien sûr. - Super. - Avec Morpheus et Néo dans le Nébuchadnezzar. - Hein ? - Pff, revois tes classiques. Non je ne peux pas. Personne ne le peut. Et à quoi ça t’avancerait ? T’as déjà de quoi le foutre à l’ombre avec ce que t’as dans la poche. - Oui mais j’aimerais comprendre. - Cherche pas. Tu le sais déjà. Favreau te l’a dit y’a pas longtemps. - Non, ça je sais. Ce que je voudrais comprendre c’est pourquoi s’attaquer à nous. - Vous avez une sale gueule, c’est tout. - T’es con. Merci en tout cas. - Pas de problème beauf. Passe le bonjour à ma sœur. Ils se quittèrent dans une accolade. Quand Karim quitta la forêt de Moulières et revint sur la route de Bonnueil Matours direction Poitiers, il reçut une alerte sur son portable. Il grogna et coupa les notifications. Il avait besoin de réfléchir. Tous ces types avaient devant eux une opportunité professionnelle à saisir. Et tous les avaient mis de côté, eux trois. Il n’y avait qu’une raison à tout cela. Un lien. Ils rendaient tous les trois service à Lazar. Pour obtenir ce qui se profilait. La question était alors de savoir ce qu’il voulait en échange. Ce que Lazar voulait. Arrivé rue Maillochon il ne le savait toujours pas. Et comprenait que de toute façon, cela ne changerait rien à leur sort. Ce qu’il devait faire, c’était prévenir la police. Avant que Stéphane ne finisse froid. Une fois son thé infusé, il prit son téléphone pour appeler le 17. Il ne pouvait pas appeler qui que ce soit qui le reconnaîtrait. Ce devait être anonyme. C’est là qu’il avait tout compris. Son sort. Le sort de ses potes. Et les motivations de leurs bourreaux.
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