Noé avait relu le mail deux fois. Non. Trois. Ce n’était pas une surprise. Plus un soulagement. Depuis que le virus avait fait son apparition dans les infos, Noé se doutait que cela arriverait. Dans un monde ouvert comme le nôtre, il n’y avait aucune raison pour qu’un virus reste tranquille il avait vu le jour. Même si c’était à l’autre bout du monde. Alors il avait fait comme tout le monde. Quand le 11 mars, le gouvernement avait dit, on ferme tout et chacun reste chez lui pour télétravailler, il s’était exécuté. Et maintenant il n’osait même plus regarder la télévision. Toujours le même décompte morbide. La même inflation. Les mèmes visages de soignants dépassés. Surtout bas. Dans l’Est et l’Ile de France. Deux lieux la concentration de population valait au moins trois fois celle de la Nouvelle Aquitaine. Ce qui ne voulait pas dire qu’ici tout était tranquille. Karim lui avait dit qu’il avait été réquisitionné pour prêter renfort en réa. Et c’était pas la joie. Tout l’hôpital vivait autour de ce foutu virus. Et maintenant, tout le monde vivait avec la peur au ventre. Aller faire ses courses demandait un laisser passer. « Un autorisation dérogatoire » comme ils disaient. Beaucoup s’étaient moqués du Président lorsqu’il avait parlé de guerre. C’étaient pourtant des mesures de guerre. Le confinement. Les pénurie de produits. La réorientation de l’activité de nombreuses industries. Pour lutter contre cette merde. Et toute cette pente qu’il allait falloir remonter, un jour. Parce que Noé voyait les chiffres, lui. La dégringolade totale des investissements. L’arrêt des transactions immobilières. Les cessations de paiement qui s’accumulaient un peu plus chaque jour. De cela on ne parlait pas, évidemment. Et c’était mieux ainsi. L’économie du pays était sous cloche. Ou plus exactement, pour rester dans le médical, sous assistance cardio respiratoire. Le mot de récession avait été lâché. Les ministres parlaient d’une crise aussi dévastatrice que la derniére guerre mondiale. Putain. - Papa, on joue ? - Oui, une minute, je finis mon travail et j’arrive. - Mais t’as déjà dit ça tout à l’heure. - Je fais vite, promis. Noé n’avait pas grand-chose à faire, en fait. Un point avec Jérôme et Ziad. Et puis prendre des nouvelles des autres employés. Savoir s’il rencontraient des difficultés. Il avait déjà fini de lire les mails de Ziad et de Jérôme. On gérait les affaires courantes. Report de charges. Délai de paiement. Avance sur salaire. Prêt à taux 0. Autant de mesures qui allait plomber l’activité de l’agence. Qui risquaient de la foutre à cul. Comme toute cette putain de banque. Il envoya un mail à Ziad en lui demandant de limiter au maximum les niveau de découvert autorisé, il avait tendance à être trop généreux. Et il envoya l’exact inverse à Jérôme qui était sans pitié. Combien de temps cela allait tenir ? Combien de temps avant que le système ne s’écroule ? Reporter les charges, accéder au chômage partiel était des cautères sur une jambe de bois. Autant de rustines sur un pneu qui était déjà à plat. Une décennie. Voilà ce qu’il faudrait. Et il allait falloir changer. Changer de modèle. Changer de façon de vivre. La crise révélait à quel point notre monde était un colosse aux pieds d’argile. Consommer et produire local. Limiter nos déplacements. Prendre le vélo plus facilement que la voiture. Une forme d’espoir irriguait les propos de beaucoup. Noé était beaucoup moins optimiste. Il allait falloir bosser plus. Pour moins. Il regarda par acquis de conscience la routine qu’il avait réactivée. Pas de mouvement anormal sur le réseau informatique de l’agence. Il hésita un instant à s’y rendre. Juste pour être sûr. Mais sa fille lui rappela que le monde avait changé de forme. - Bon papa, ca fait le temps que tu as dit.
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