Karim était sur le quai d'embarquement du CHU. L'odeur était toujours la même. Aïsha aussi. Il la regarda respirer cet air vicié comme s'il s'agissait d'une brise de printemps. Elle avait perdu du poids. Et coupé ses cheveux. C'était peut-être pour ça qu'il lui trouvait quelques kilos en moins. C'était paradoxal. A vrai dire c'était comme s'il la voyait pour la première fois. D'ailleurs c'était la première fois qu'il la voyait autrement qu'en blanc. Un pull rouge. Un jean délavé. Des bottines. Rien que de l'effacé. Et ses yeux qui regardaient le ciel comme s'il y avait bas une forme de réconfort éternel. Il l'enviait. Il en avait envie. Il brisa le silence. - Ça te dirait qu'on se fasse un ciné un de ses quatre ? Elle ferma les yeux et il sembla à Karim voir un sourire s'esquisser sur son visage. Elle inspira une grande bouffée d'air. L'après midi était ensoleillé. Et les températures finalement printanières. C'est vrai que le moment était agréable. Mais elle gardait le silence. Karim n'avait pas envie de la brusquer mais son impatience était palpable. Elle dut le sentir. Et se leva pour filer vers son monde. Un monde Karim voulait se faire une place. Sans rien dire. - T'as perdu ta langue. - Non Karim. Je te laisse réfléchir. Dis moi quand tu sauras. A après demain. Putain jura t il intérieurement. Quel con, continua t il. Qu'est ce que t'espérais ? Conclut il. Il écrasa son mégot et remonta son t- shirt pour masquer l'odeur en faisant gaffe au flaques d'eau par terre pour rejoindre le parking et sa Clio. Qu'est ce qu'elle avait voulu dire ? Qu'il ne savait pas ce qu'il faisait ? Sans doute. A moins qu'elle ne lui ait demandé de bien peser ces mots. Et ce qu'ils impliquaient. Ou alors elle s'était foutu de sa gueule. Bordel. Il avait la tête en vrac et elle en remettait une couche. Dire qu'il la croyait de son côté. D'ailleurs elle l'était. C'est sûr. Quand il avait été rappelé sur son deuxième jour de repos, c'est elle qui l'avait briefé. Et puis il avaient été efficace. Le courant passait entre eux. Il passait bien. Alors pourquoi tourner autour du pot ? Assis dans sa voiture, il baissa son t-shirt et regarda le ciel. Pas de réconfort éternel. Juste du bleu. Et des piafs prêts à moucheter sa carrosserie. Tant pis. Il avait des trucs à faire. Il regarda sa montre. 15h45. Le type des travaux ne serait pas avant deux bonnes heures pour lui remettre le devis. Cela lui laissait largement le temps d'aller sonner les cloches de l'autre emmanché qui lui avait vendu une blender qui ne fonctionnait pas. Il prit l'avenue Jacques Cœur puis fit le tour de Poitiers par la voie rapide sud. En dix minutes, il se retrouva Zone de la République à regarder son téléphone le guider. L'appareil finit par lui dire qu'il était arrivé lorsqu'il se retrouva face à un bâtiment géant . Haut comme un immeuble de trois étages et long comme une barre des Couronneries. Il en avait le vertige. Il se gara sur le parking visiteur et sonna à l'interphone. La sonnerie résonnait comme il regardait le monstre. Il constata qu'il n'y avait absolument aucune ouverture. Ca ressemblait à un énorme cube légo. Les picots en moins. - Oui ? - Oui bonjour, je vous ai appelé hier pour un blender défectueux. - Votre nom ? - Jaïsh. Karim Jaïsh. - Attendez. Un clac magnétique se fit entendre et Karim poussa la tôle devant lui révélant une porte aux contours si hermétiques qu'elle lui avait été invisible. A l’intérieur, il faisait une chaleur à crever. Et le vacarme des caristes rendait l'ensemble détestable en plus d'être immense. Il devina à sa gauche un accueil. Comme à La Poste, il y avait un hygiaphone et derrière un type qui lui faisait signe d'avancer. Il portait juste un marcel, avait une barbe de plusieurs jours et une clope sur l'oreille droite. Karim réussit à l'entendre renifler bien que les machines semblaient redoubler de violence. Derrière le comptoir, des rayonnages géants s'étendaient sans que Karim puisse en deviner la fin. Même les caristes semblaient minuscules. - Vous l'avez avec vous ? - Oui. Karim sortit le blender de son sac. Impeccablement remballé. L'homme fit sauter le carton et le brancha sur une prise sous le comptoir. - Il marche pas. - C'est pour ça que je suis ici. - Qui vous l'a vendu ? Karim n'avait pas pensé à prendre la carte. Il se souvenait seulement du nom de la boite. - RoboDiffusion, un type est pass... - Ouais, ouais. Faut pas ouvrir aux gens qu'on connaît pas. - Hein ? - Non rien. Bon, je peux vous faire un avoir. - Vous pouvez pas me l'échanger ? - Non. On l'a plus en stock. C'était une promo. - Plus en stock , non mais vous vous... - Hophophop...on s'affole pas, vous avez juste à traverser la rocade et vous trouverez le même à Intermarché. En moins cher et qui marche. Peux pas vous dire mieux. - Bon... Merci. Karim referma son sac et tourna le dos sans dire au revoir au type. Quel enfoiré. Plus de stock... - Hey, M'sieur ! - Quoi ? Vous avez retrouvé du stock ? - Ca s'pourrait bien. Le type ouvrit une porte aussi invisible que celle de l'entrée sur le côté du comptoir et lui fit signe de venir. Il devait faire une tête de moins que Karim. Et depuis qu'il n'avait pas bu une goutte d'alcool, il se sentait suffisamment éveillé pour faire face en cas d'embrouille. Il avança alors à sa suite. La porte fruit un bruit mat en se refermant derrière eux.
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