L'après midi commençait tranquillement. Stéphane réapprovisionnait ses rayonnages, dérangé deux ou trois fois par des clients plutôt taiseux. C'était pile ce qu'il lui fallait. Du calme. De la tranquillité. Et un brin de sérénité. Il n'était pas fier de la manière dont il avait éconduit le type de BioDiffusion. Faut dire qu'il l'avait un peu harcelé à se pointer tous les jours, comme pour lui forcer la main. Depuis il avait repensé à ce qu'il lui avait dit. A la menace qu'il avait à peine voilé. Cela ne faisait qu'une journée mais il s'apprêtait à devoir vivre de vache maigre. Une fois encore. Et pourquoi ? Parce qu'il croyait en ce qu'il vendait. Il s’accrochait à ce fait comme Di Caprio avant de tomber du Titanic. Sans raison valable. Les maraîchers de Bonnes, eux, se frottaient les mains. Vu que leurs produits partaient comme des petits pains, ils lui avaient proposé carrément un pan de leur champ. Juste pour lui. Selon ses conditions. Selon leur prix. Certes il n'était pas perdant mais ce n'était pas BioDiffusion. Il avait décliné. Ils avaient fait la gueule en lui tendant son cageot. Au moins ils ne l'avaient pas menacé. Et lui tentait tant bien que mal de garder les pieds sur terre. Cela ne faisait guère qu'un mois qu'il refourguait leurs légumes. Et moins de 48 heures pour Yvan. Ce matin, il aurait mangé toutes les baguettes. De vrai brioches dorés à souhait. Quant il l'avait remercié, Yvan avait juste dit « les meilleurs sont chez moi ». Il avait compris le message. Le pain, c'était chez lui. Jusqu'à ce qu'il ferme. Bien évidemment il n'en tenait que peu compte. A part pour ceux qui passait trois plombes à tripoter chacune d'entre elles. Mais peu importait, hier et aujourd’hui il avait été en rupture de stock. Il n'avait rien dit à Yvan et Irène. C'était trop tôt. Il fallait voir dans la durée. La durée. Il gratta un peu de terre sous ses ongles et remis deux boites de petits pois sur l'étagère. Oui. La durée. Il était exténué. Il n'allait pas pouvoir tenir longtemps à être récoltant et vendeur. Cela faisait de trop longues journées. Sans parler du pain. Et la seule solution qu'il voyait était de se contenter de conserve. Au moins il dormirait toujours à 4 heures du matin. C'était un choix raisonnable. Après tout il était un peu l'arabe du coin. Personne ne lui en voudrait de ne pas vendre des produits primeurs. Il posa la dernière boite de petit salé aux lentilles et alla se poser devant son ordi. Un client lui régla deux red bulls et un boite de gâteau . Un lycéen qui lui fit un sourire grand comme le Pacifique avant de sortir en agitant ses red bull comme deux trophées. Encore heureux qu'il ne vendait pas d'alcool pensa t il. Sinon ç'aurait été carnaval toutes les heures de toute la journée. Il le regarda disparaître de sa devanture et ouvrit son logiciel de compta. Et ses bras lui firent un peu plus mal encore. Il regarda ses ongles, se leva, prit la brosse et frotta. C'était ce qui lui rapportait le plus. C'était aussi l'achat le plus fréquent. Le pain. Et les produits frais. A croire que ce qu'il vendait étai plus valable que les deux supermarchés qui le cernaient. Putain. Il comprit alors qu'il n'avait qu'une porte de sortie. Son problème était le temps. Pas l'argent. Il gagnait déjà presque autant que lorsqu’il vendait de la dope. Une vraie prouesse. Il prit son téléphone et appela les jardins de Bonnes. Il tomba sur le répondeur et leur demanda de le rappeler parce qu'il avait une nouvelle proposition à leur faire. Il était prêt à se lever lorsque la sonnerie retentit. Il resta donc assis en pensant à comment il allait présenter son plan à Yvan quand il vit un nuage de vapeur s'enfuir de son magasin. - Commissaire. Favreau se dévoila derrière la panière de légumes les yeux sur sa vapot' qu'il avait du mal à éteindre. Il semblait plus maigre que la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Plus grisonnant aussi. Le temps passait plus vite pour lui, semblait il. A croire que le boulot de flic connaissait une date de péremption plus précoce que les autres. Il leva les yeux vers lui, lui fit un demi sourire fatigué en levant la main. Stéphane se leva et le traita comme il le faisait avec ses amis. Une poignet de mains croisée et une accolade généreuse. Le commissaire le laissa faire et suivit Stéphane dans l'arrière boutique. Depuis le casse il l'avait aménagé et sécurisé les lieux. C'était maintenant sa salle de réunion. En faisant couler un café, il fit signe au commissaire de s’asseoir. Il sembla tellement soulagé que cela inquiéta Stéphane. - Ca fait plaisir de vous voir - Moi aussi je suis content de te voir. - Qu'est ce qui me vaut le plaisir ? - Je passais par là et j'avais froid. Stéphane interrompit son geste. Il regarda le commissaire et vit que dans ses yeux il y avait autre chose. Autre chose que le froid de la rue. Qui n'existait pas aujourd'hui. Le soleil brillait et on frôlait les 15 degrés. Il le vit rallumer sa vapot'. Et Stéphane fit signe qu'il pouvait. Il était ici chez lui. C'était implicite. - Qu'est ce que j'ai fait encore ?
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