C'était exactement ce à quoi il s'attendait. Peut-être mieux. Ou pire. C'est selon. Noé était arrivé en avance. 8H20 pour 9h00. Devant les bureaux du Crédit Populaire de Châtellerault ce n'était pas l'effervescence. Comme tout du long de la rue Bourbon , qu'on lui avait pourtant présenté comme l'artère principale de la ville. Ça donnait au contraire l'impression de débarquer dans une ville abandonnée. A part une ou deux boulangeries, les magasins étaient recouverts d'acier à cette heure. Il prit un pain aux amandes et tenta de se dire que c'était mieux comme ça. Un endroit calme, un boulot inutile et l'espoir de se redresser selon son rythme. Car il n'oubliait pas. Pas la rue Carnot ou le siège de Bordeaux. C'était comme un préambule. Bientôt il irait pourrir leurs bureaux du fric qu'il leur ramènerait. Avant de se barrer. Car il n'était pas fini. Ce n'était qu'un accident de parcours. Un trou dans une bulle qu'il ne laisserait personne continuer de gonfler. Sa bulle. Tant pis pour Karine. Tant pis pour ses filles. C'était de lui dont il était question. Et de ce qu'il s'apprêtait à faire. Il renifla un grand coup et poussa la porte de l'agence. Il n'y avait personne. Il salua la femme de ménage et osa lui demander son bureau. Elle lui fit un signe de tête vers ce qui ressemblait à la salle de pause. Dedans, l'odeur de café froid était prégnante. Il vit un tableau et une lettre cachetée à son nom. Évitant deux ou trois chaises, il arriva jusqu'à elle et la décacheta. « M. Oudrago, votre bureau se trouve à l'étage vous disposez d'un ordinateur. Voici vos identifiants. Merci de vous signaler à midi pour le déjeuner. Nous commandons des sandwichs et mangeons ensemble. Vous êtes notre invité pour aujourd'hui. Charles Potier. Directeur d'agence. » Encore un à qui il faudrait donner des cours pour épeler correctement son patronyme. Un de plus. Il prit la lettre avec lui et tenta de se repérer dans l'agence. La femme de ménage rangeait son matériel. Ça sentait la javel. Il slaloma comme il pouvait jusqu'à l'escalier ne figurait aucune indication. L'étage grimpé, il déboucha dans une chambre de bonne sous les toits. Il y avait encore le lavabo . Face à lui à peine deux mètre plus au sud, son bureau. Et un ordinateur périmé. Il l'alluma et entra ses identifiants. Il chercha à avoir accès à sa messagerie mais n'y arriva pas. Tout ce à quoi il avait accès était les relevés de transactions et leurs numéros. En regardant pas le velux, il vit une rangée colossale de boites d'archives. Du 21*29,7. Il se leva et en ouvrit une. Que des feuillets remontant à vingt ans. Il prit le temps d'avoir une vue d'ensemble et comprit que son travail allait être de numériser chacune des transactions qui figuraient sur ces papiers. Il prit celle qu'il avait en main et retourna s’asseoir devant l’ordinateur. Il rentra la référence et le fichier de saisie s'afficha. Vierge. Il comprit alors pourquoi Rabotin avait été si doucereux. Oui. C'était plus qu'un placard. C'était un truc à vous écœurer. Vous écœurer de toute forme de travail de bureau. A vrai dire ce n'en était pas un. C'était une punition. Simplement une punition. - Alors vous avez trouvé sans problème on dirait ? Ça vous plaît ? On peut vous installer une cafetière si vous voulez, on vient de changer la nôtre, vous serez encore plus indépendant. Noé regarda le directeur d'agence, de toute évidence Charles Potier, le toiser en tendant la cafetière qui devait avoir l'âge du feuillet qu'il tenait toujours dans ses mains. Il repensa alors à l'aide soignante. A ce qu'elle lui avait dit. A Karim aussi. A ce qu'il lui avait dit. Il se tourna alors pour faire face à Potier. Avant il se serait levé. Histoire de lui faire de l'ombre. Il n'avait plus besoin de ça maintenant. - Que savez vous de moi, M. le Directeur ? - Euh, bé euh, que vous êtes notre nouvel archiviste - Non, non, non. Que savez vous réellement de moi ? - Ben que vous êtes chez nous parce que vous avez, comment dit on...manqué à vos responsabilités. - C'est ce qu'on dit ? - Plus ou moins. - Je vois. Et bien je suis parce que je suis un toxicomane en plein sevrage et qu'il me faut un endroit calme pour travailler. - Je vois. - Bien. Si vous voyez , vous savez que je ne viendrais pas manger avec vous. Que je n'accepterais pas votre cafetière tout comme toute intrusion dans cet espace sans nom. Car il est sans nom n'est ce pas ? - C'est-à-dire que c'est la première fois qu'on a quelqu'un pour... - Laissez tomber. Et rappelez vous. Un toxicomane. En période de sevrage. Est ce assez explicite ? - Tout à fait. Bonne journée, M. Oudrago. - Ouedraougo. - Oui. M. Ouedraougo. - Parfait. Le type faillit presque l'attendrir avec son air de chien battu et son impossibilité de poser sa cafetière. Peut-être avait il été trop dur. Peut-être. Mais Noé savait parfaitement ce qu'il traînait. La réputation d'un fouille merde. Et d'un mec peu fiable pour l'entreprise. C'était ici le point de non retour. Celui qui lui ferait quitter cette grande institution qu'était le Crédit Populaire. Potier devait en être informé. Et il ne s'attendait pas à ce que son discours porte ses fruits. Non. Il savait qu'il allait être sur son dos. Jusqu'à ce qu'il craque. Et quitte le bateau. Seulement, il n'en avait rien à secouer. C'était le monde. Et le monde lui était dorénavant étranger. Il ramassa la feuille de 1992 et commença à rentrer les infos sur son ordinateur en tirant sur sa vapot'. La journée ne faisait que commencer.
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