Ça y était. C'était bon. Les toubibs sortaient juste de sa chambre et il était officiellement guéri. Noé les regarda sortir de sa chambre aux murs blanc cassé avec une pointe de stress. Eux étaient déjà passés au patient suivant. Lui était maintenant face à lui-même. Et à ses propres démons. Seul. Sur la table, dans l'enveloppe cachetée, les papiers du divorce étaient signés. Il n'avait pas cherché à obtenir quoi que ce soit. Et Karine était assez intelligente pour avoir su rester juste. Il avait sa part des biens matériels. Et en échange d'une psychothérapie et de contrôles réguliers, il pourrait selon toute vraisemblance revoir ses filles d'ici six mois maximum. D'ici là, il allait devoir leur écrire s'il voulait leur dire quelque chose. Aucun contact direct ne lui avait été permis par le juge. Rapport à ce qu'il avait laissé dans le coffre de sa petite. Circonstance aggravante. Il s'en tirait donc avec ce qu'il méritait. Une période de probation. La porte fermée, il rassembla les affaires qu'il avait accumulées pendant ces trois semaines à Laborit. Pavillon des toxico et des alcooliques. C'est qu'il avait atterri après 12 heures d'attente aux urgences de l’hôpital d'à côté. Une échographie du foie plus tard, le diagnostic avait été posé par un jeune interne aux valises lourdes, vers 2 heures du matin , alors que l'infirmière essayait de lui prélever du sang pour analyse. A vrai dire il en devinait les résultats. Il ne s'en était pas caché. C'est pour cela que ça n'avait pas traîné. Les lésions résiduelles de l'agression qu'il avait subi il y avait maintenant presque un an étaient bénignes. S'il avait mal, cela ne venait de toute évidence pas d'ici. L'examen clinique fini, l'interne n'avait pas tourné autour du pot. - M. Ouedraougo, le problème n'est pas physique. J'attendrai bien les résultats des analyses toxicologiques mais d'après vos réponses, je crois ne pouvoir vous proposer qu'une seule option. - C'est-à-dire ? - Il faut vous sevrer. Vite. Et bien. Vous m'avez dit que seul vous aviez échoué. Donc il faut vous sevrer avec de l'aide. Noé, à ce moment, était tellement à fleur de peau qu'il prit son échec comme une faute. Il avait baissé le regard et regardé ses mains. Tout son corps recommençait à trembler comme le sang et son goût de fer emplissait sa bouche. A cet instant, il aurait pu tout exploser. Il aurait pu le tuer. Ou partir et gratter des cachetons avant de finir dans le fossé de l'avenue Jacques Coeur. Juste pour ne plus sentir la culpabilité dans le comportement de ses semblables. Et arrêter de trembler. L'interne, lui, n'avait pas bronché. Quand Noé avait relevé les yeux, il avait vu autre chose que la fatigue ou la lassitude dans son regard. Il y avait vu une empathie sincère et évidente. Et quelque chose qu'il n'avait compris que plus tard. La confiance. La confiance en lui, Noé, et en son avenir. Ça l'avait retourné. - C'est une excellente chose que vous ayez tenté seul, M. Ouedraougo. Ça veut dire que vous voulez vraiment vous en sortir. Mais c'était aussi très risqué. C'est pour ça que je vous parle d'être aidé. Une demi heure après avoir serré le plus calmement possible la main du futur médecin, il était transféré en ambulance jusqu'à sa chambre aux murs blanc cassé. Depuis, il avait eu Chaud/Froid. Il avait été Mal/Bien. Et puis, avec un supplétif médicamenteux il avait arrêté de trembler en moins de 48 heures. Au bout d'une semaine son bilan sanguin était de nouveau équilibré. Il était officiellement sevré. Là, il avait essayé de joindre sa femme. Il était tombé sur le répondeur et lui avait tout déballé. Elle n'avait pas répondu. C'est une aide soignante qui se contentait d'habitude de retaper son lit qui lui avait donné des nouvelles. Qui lui avait dit que c'était divorce, probation et psychothérapie. Il avait fini dans ses bras. Des larmes pleins les yeux. Qui refusaient de couler. Il se souviendrait toute sa vie de ce qu'elle lui avait dit. - Ça vous fera toujours mal, M. Ouedraougo. Toujours. Vous savez des tuiles, il en tombe toujours. Et jamais au bon moment. Ce qu'il faut c'est se souvenir, que sans elles vous ne seriez pas qui vous êtes. Et vous êtes quelqu'un de bien M. Ouedraougo. Ne laissez pas le monde vous enlever ça, d'accord ? Il avait quand même fallu qu'il achète de quoi vapoter et un anxiolytique quotidien pour que, finalement, aujourd'hui, il puisse la chercher dans les couloirs. Juste pour lui serrer la main. Parce qu'elle était revenue le lendemain et avait juste ouvert les volets, lui foutant la paix, alors qu'il était au fond de son lit. Et puis comme ça, geste après geste, des volets aux rires, il avait fini par ne plus y penser. A la dope. A l'abattoir. A la merde qui s'étalerait tous les jours devant lui. Une de ses collègues, toute aussi gentille, lui avait dit qu'elle était en congé. Il n'aurait pas l'occasion de lui dire au revoir. Il prit son sac à dos et sa valise, jeta un dernier regard en arrière et comprit qu'il avait fait plus que de se sevrer entre ces murs blanc cassé. Il avait gagné. Il tira sur sa vapot' puis sur la porte et donna la lettre pour Karine à la collègue de l'aide soignante et sortit enfin à l'air libre. Il faisait beau. Et frais. Il mit un peu de temps avant de trouver l'arrêt de bus . Là, il attendit le prochain, seul. Mais aussi armé, maintenant.
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