Quand Noé était entré dans le bureau de Jean Paul Rabotin, il était, disons, très en colère. Il avait contenu et entretenu sa rage tout le long du trajet qu'il avait fait depuis Châtellerault, sans desserrer le blister du skenan. Car ce ne pouvait être que lui. Il avait eu l'intention, dans un premier temps, de lui faire avaler. Avec l'emballage. Puis il s'était dit qu'il allait le faire souffrir d'abord. Et menacer de révéler tout ce qu'il avait découvert à la presse. Le numéro qui figurait au dos ne demandait qu'à être composé. Depuis son smartphone, Noé n'avait pas eu de difficulté à identifier la Nouvelle Presse du Centre derrière la suite de chiffres. Sans doute un coup de main de Potier. Le pauvre. Il lui faisait penser à ces fonctionnaires que l'on voyait dans les films. Pas méchant. Toujours en périphérie. Et avec une capacité redoutable à passer entre les gouttes. C'était exactement ça. Potier passait entre les gouttes. Et Rabotin allait prendre l'averse. Et la foudre. Passé Angoulême, il avait commencé à monter son argumentaire aussi. Pour harcèlement. Il n'allait pas se contenter de tout balancer. Il allait partir avec les indemnités nécessaires. C'était aussi pour ça qu'il gardait le skenan dans sa main. Parce que c'était une preuve. Prouver son origine. Remonter la filière. Ce n'était pas son problème. Il était arrivé sur son bureau via son supérieur hiérarchique. C’est comme ça que cela commencerait. Après tout peut-être que Potier ne passerait pas entre les gouttes cette fois ci. Le reste de la route, il la passa avec Slayer. Il avait besoin de bruit et de fureur. Il avait été servi. Dans le siège régional du Crédit Populaire, il brava toutes les barrières jusqu'à Rabotin et le trouva assis derrière son grand bureau en chêne patiné, en train de tapoter sur son clavier. - Non mais pour qui vous vous prenez ? - Bonjour Noé, content de vous voir - Hein ? - M. Potier m'a averti que vous souhaitiez me faire part de l'avancée de votre travail en personne. Je suis content que le voyage se soit bien passé. Allez, asseyez vous et racontez moi tout. - Je n'ai rien à vous dire. Je veux juste savoir pour ça. Noé lui balança la carte avec le blister et l'actiskenan sans autre préambule. Les muscles tendus. Il avait tellement envie de lui enfoncer son sourire dans la glotte. - Ah. Ça. - Oui. Ça. - Disons que...mais je vous en prie Noé, asseyez vous, tout cela ne vaut pas la peine de se mettre en colère je vous assure. - C'est un test. - Médical. Un test médical. Avant tout, c'est bien moi qui ai dit à M. Potier de vous remettre la carte. Avec le numéro. - Quoi ? Noé dut avoir l'air tellement surpris que Rabotin lui fit des signes répétés pour qu'il s'assoit, le sourire toujours accroché sur son visage lisse. Noé ne put qu'obtempérer. Sa colère sciée comme on scie la branche sur laquelle on était assis. Il s'attendait maintenant à la chute libre. Et il n'imaginait pas à quelle point il allait tomber de haut.

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