- Ce serait trop beau - De quoi ? Que Dieu existe ? Cela faisait bien un quart d'heure qu'ils étaient assis dans le vent, sur les quais de chargement de l’hôpital. Leurs collègues avaient filé dès leur cigarette finie. Karim en avait allumé une autre. Et Aïsha était restée. Trop de choses à se dire. Et un débat qui pouvait ne pas avoir de fin. En tout cas, Karim se sentait mieux qu'hier. Quand Noé était parti, il était allé s'affaler sur son canapé et avait fini la bouteille de rhum sans ajouter de café. Il s'était endormi en se disant que son pote avait tort. Oui. Son problème à lui, ce n'était pas le monde. Ça faisait longtemps que son métier lui avait appris à s'en protéger, quelque fois même un peu trop. Toujours est il que ce n'était pas la misère des autres qui le rongeait. Loin de là. C'était ce qu'il avait à l'intérieur qui brûlait Karim et l’entraînait à porter encore et toujours les lèvres à un verre. Il s’était réveillé vers minuit sans avoir trouvé de réponse. Au moins dessus, Noé n'avait pas tort. La solution viendrait de lui. Mais quand ? Il avait poussé les bouteilles et s'était regardé dans la glace de la salle de bains en même temps qu'il pissait. Un tête de poivrot. De sale type. Voila ce qu'il y vit. Il tira la chasse et tendit un drap qu'il punaisa tant bien que mal sur le trou qu'il avait fait. Cela lui éviterait peut être de faire des cauchemars. Il s'était réveillé alors que son réveil sonnait depuis un bon quart d'heure. En retard. Il prit une douche. Cela lui allégea un peu la tête. Juste assez pour filer au boulot. Là, il y avait du monde. Beaucoup de monde. Ils n'avaient pas réussi à manger. Tout juste venait il de quitter les lits porte pour aller fumer. Il faisait un temps de chien. L'une de ces journées on rêve de rester à l'abri. Seulement la discussion avait vite pris une tournure inquisitrice. Ses collègues, Aïsha en tête, s'amusaient à le mettre en boite. Tout était parti d'un patient reçu pour un delirium tremens. Il avait les cheveux bouclés. Et une barbe hirsute. Comme Karim. Le parallèle avaient suffi à les faire rire. Lui n'avait rien dit, vexé. Les deux autres aides soignantes étaient parties en le regardant de haut. Du genre «  allez l'alcoolo arrête de jouer les saints ». Puis Aîsha avait crevé l'abcès. - T'as vraiment une sale gueule. Qu'est ce qui t'as foutu en vrac comme ça ? - Un peu tout. Je crois que j'en ai marre, en fait. Marre de tout. - Ras le bal global. - Ouais, un truc comme ça. - Surtout ras le bol de toi, non ? - Tout part toujours de là, non ? - Ca dépend. - Comment ça ? - Ca dépend d'où tu te places. - Aucun rapport. - Aucun rapport ? - Ouais. Tout commence avec ce que nous sommes. C'est de que nous établissons notre vision et notre comportement. - Pas moi. - Pas toi ? - Non. Pour moi, je ne suis qu'une particule. A durée de vie limitée. Un grain sable dans un grand tout. Une créature de Dieu. Une créature que Dieu définit et oriente. Pas le centre de mon monde. - Tu me parles de tes valeurs. Bien sûr qu'elles sont importantes. Mais elles ne sont pas le point de départ. - Tu dis ça parce que tu ne crois pas. - Ce serait trop beau - De quoi ? Que Dieu existe ? - Non. Que je crois encore à quelque chose - C'est peut-être ça ton problème, Karim. Elle s'était levé en disant sa dernière phrase. La clope de Karim n'était même pas finie. Il avait fini par la saouler elle aussi. Devant lui, un camion chargeait des montagnes de DASRI . Ça puait la merde et l'essence. Et le vent faisait encore plus briller son bout de clope. Elle devait avoir raison. Son problème était qu'il ne croyait plus en rien. Surtout pas en lui.
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