Stéphane s'était déjà pris des soufflantes. En quantité. En grande quantité. A vrai dire son enfance et son adolescence jusqu'au départ de son beau père était marquée par cette forme de communication. Quand ce n'était pas les coups, c'était les mots. Il avait grandi dans la violence. Une violence tue. Cachée derrière les murs des appartements. Celle que l'on ne devinait pas. Ou presque. Un bleu pour une chute. Une infirmière qui fronçait les sourcils . Et la violence, comme seule manière de parler qu'il connaissait. C'était pour ça qu'aujourd'hui il n'avait pas d'instruction. C'était comme ça qu'il avait mal commencé. Et qu'il avait bien failli mal finir. Son salut, il le devait à trois personnes pour être précis. Karim. Noé. Et le commissaire Favreau. Avec eux, avec le temps, il avait su qu'il fallait mieux être posé, voire se taire. Souvent. La plupart du temps même. Les autres avaient souvent bien trop de choses à dire. Sur eux. Comme autant de munitions pour son esprit qu'il avait forgé à l’école de la petite délinquance. personne ne compte sur personne. Et tout le monde est la proie de tout le monde. Mais il s'en était sorti. Grâce à ces trois personnes. Parce que deux ne l'avaient jamais lâché. Et parce que l'autre avait avoir pitié. Ou voir en lui ce qu'il ne soupçonnait pas. La droiture. Alors quand Favreau s'était mis à lui parler sèchement, il avait eu peur. Et quand il s'était levé lui avait montré son bouclard et avait haussé la voix pour bien lui faire comprendre que la chance ne passait jamais deux fois, il avait compris. Le commerce est aussi affaire de politesse. Et les modes d'échanges un brin différent de ceux de la rue. Bref, il avait merdé avec BioDiffusion. Le patron en personne avait sonné les cloches d'un de ses inspecteurs pour lui dire de venir le voir parce qu'il avait carrément menacé un de ses employés. Menacer de lui casser la gueule. L'inspecteur avait été voir Favreau. Favreau avait reçu un coup de fil du Directeur de PoitouDiffusion, dont BioDiffsion était une filiale et l'échange avait été tendu. Que l'on refuse de faire affaire avec lui, OK. Qu'on menace de casser les dents de ses commerciaux, inacceptable. Favreau lui avait dit cela avec une froideur polaire. Et lui avait intimé l'ordre de régler cette affaire. Stéphane avait écouté, à la peur, faisait place la colère au moment le commissaire portait enfin sa vapot' à ses lèvres. - Vous savez quoi ? Je ne le ferais pas - NON MAIS....Vous avez entendu ce que je viens de vous dire ? - Oui. Et vous n'avez pas eu le temps de me laisser en placer une. - Bien. D'accord. Allez y. - Ce sont des arnaqueurs. Il jouent avec les réglementations européennes pour faire passer des produits bio en Espagne et au Portugal mais pas reconnues comme telles en France. Et ils m'ont menacé. - Menacé ? - Oui. Le type m'a bien fait comprendre que si je ne bossais pas avec eux, mon bouclard il me le ferait fermer. - Et vous l'avez cru ? - Un peu que je l'ai cru. Le commissaire regarda Stéphane droit dans les yeux. Pour voir s'il mentait. Puis il tira sur sa vapot', posa ses coudes sur le comptoir et se frotta le visage. Lorsqu'il porta à nouveau les yeux sur Stéphane, celui ci le reconnut enfin. - Stéphane, il faut que vous compreniez que Poitiers est une petite ville. Tout le monde connaît tout le monde et certains sont installés depuis des siècles ici. Ils ont su y vivre heureux et faire fructifier ce qui n'était peut-être au départ que l'équivalent de votre magasin. - Ils ont la mémoire courte alors... - Stéphane, ce que je veux vous dire, c'est que Poitiers est un petit marché et le mouvement des capitaux quelque chose de très limité et, disons, rare. Cela entraîne quelque chose à l'installation d'un nouveau commerce. L'agressivité défensive. - Vous voulez dire qu'ils ont peur que je mange leur pain. - Oui. - Ah bah c'est la meilleure. Vous savez que je ne me paie que depuis un mois ? Vous savez que je me lève tous les matins à trois heures et me couche tous les soirs à minuit pour cela ? Que croyez vous que je croque ? Rien d'autre que des miettes. Et pour cela je ne peux pas me permettre de vendre des orange bio du Portugal. C'est pourtant pas l'envie qui m'en a manqué. - Je comprends. Mais je peux vous garantir qu'ils ne pilleront pas votre magasin ni ne vous empêcheront de faire vos affaires. Comme je vous le demande comme une faveur de bien vouloir leur adresser votre fin de non recevoir dans les formes. On peut s'entendre là dessus ? - Oui. C'est un bon deal. - Allez, et n'oubliez pas qu'il vaut toujours mieux avoir des amis que des ennemis. En postant son recommandé il adressait ses excuses à BioDiuffsion et leur faisait savoir qu'il ne souhaitait pas bénéficier pour l'instant de leurs services, il se dit qu'il avait mis trois mots de trop.
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