Stéphane aidait Yvan à décharger ses panières. Il devait avoir bossé toute la nuit. A l'ancienne. Quand les boulangers commençaient leur journée à minuit. Il avait de la farine jusque sur son crâne. Et le sourire aux lèvres. - C'est pas la meilleure fournée que j'ai faite de ma vie. Je te promets que, même si t'auras pas le meilleur, ce sera toujours mieux que ça. - T'inquiètes, c'est parfait. - T'es pas chiant au moins toi. Yvan lui sourit et lui donna la dernière poignée de baguettes. Il le salua ensuite et lui dit à demain. Dehors, le froid mordait toujours les joues. Et le vent emportait dans un tourbillon la farine qu'Yvan laissait derrière lui. Déjà les premières voitures les éblouissaient de leurs phares. Il faisait encore nuit noire et Stéphane hésitait à retourner se coucher. A peine 6h30. Bordel, quelle vie de merde avait il choisi ? Il soupira un grand coup et se décida à passer la serpillière. Il ne l'avait pas fait depuis un bon bout de temps. Il enchaîna par un lustrage en règle de ses rayonnages et de son comptoir. Quand il en eut fini le jour était levé. Et il avait encore plus envie de dormir. Seulement maintenant, il était trop tard. Il allait ouvrir. Et les premiers clients allaient arriver. Il commençait à avoir une solide clientèle maintenant. Le fait qu'il ait une amplitude horaire plus grande que les supermarchés aidait grandement. C'était avant leur ouverture et après leur fermeture qu'il faisait le plus d'affaires. Assez pour gagner autant qu'avant depuis un bon mois. A peu près depuis qu'il ne pensait qu'à prendre des vacances. Il regarda son chiffre de la veille et soupira. Au moins il avait assez pour les rêver. Il se leva ensuite et remonta son rideau. Le jour était blafard. Un gris terreux emplissait le ciel. Et le froid n'avait pas disparu. Une rafale de vent ouvrit presque sa porte. Pour un début de printemps, on avait connu mieux. - Bonjour M. Peyroux ! Comment allez vous ? Avez réfléchi à ma proposition ? - Vous. - Oui, moi. Alors ? est ce que vous en êtes ? Le temps passe vous savez. Avec le nouveau partenariat pour le pain, Stéphane n'avait pas eu le temps de penser à ses légumes. Et voilà que moins de 48 heures après sa visite, le commercial débarquait, tout pimpant. Et lui qui ne pensait qu'à dormir. La journée allait être difficile. Il invita le type, Rouget ou Rougier, il ne se souvenait plus, à entrer. Le type ne se fit pas prier. Il s'essuya les pieds sur le paillasson en se frottant les mains et en soufflant dessus. Il avait l'air frais lui. Stéphane s'installa devant son écran et ouvrit le tableur il avait commencé à faire des projections. Avec BioDiffusion. Et sans. Les premiers mois c'était tout bénef. Mais ce qu'il avait vu en grattant leur site, c'est que, quoi qu'il arrive, il devrait écouler la marchandise dans le mois. Parce que le mois suivant on lui livrerait exactement la même quantité. Pas très flexible comme business model. C'était peut-être bon pour les grosses enseignes qu'ils approvisionnaient et qui pouvaient jeter en toute impunité leurs invendus. Mais pour lui, chaque feuille de laitue jetée était une perte sèche. - Je suis désolé, M. Rouget - Rougier - Oui, je suis désolé M. Rougier, mais je ne crois pas que l'on puisse faire affaire. - Comment ça ? - Disons que je suis un petit commerçant et... - Vous avez peur. Je comprends. C'est la quantité, n'est ce pas ? - Et son roulement. - Oui. Je vois. Écoutez, je ne vous propose pas le panier de Géant Beaulieu. C'est à vous de me dire ce qu'il vous faut. Commençons petit et nous ajusterons. - Mouais... - Bon. Faites vos calculs, je vois qu'au moins vous avez pensé à moi et rappelez moi. Je tiens à vous faire une offre. - Bon. Ok. - Passez voir M. Gauger à Géant Beaulieu, il peut vous aider. - Vous travaillez avec eux ? - Bien sûr. Contactez les, ça vous éclairera. Allez, je file. Bonne journée M. Peyroux. J'attends de vos nouvelles. Stéphane le regarda sortir dans le froid, la tête déjà à la suite de sa journée. Il le vit regarder sa montre et remonter son col comme il montait dans sa 208 de société et passer un appel en jetant un coup d’œil dans son magasin avant de raccrocher et de filer. Bizarre. Stéphane ferma son ordi et sortit à son tour dans le froid. Il plaça le panneau d'absence sans omettre cette fois ci qu'il serait de retour dans 10 minutes. Il remonta l'avenue et entra dans la boulangerie d'Yvan. Sa femme l'accueillit avec un grand sourire. La chaleur qui régnait lui donna presque une sueur. - Yvan est derrière ? - Oui. Allez y passez par là. Stéphane fit le tour des présentoirs par l'intérieur et la chaleur monta encore d'un cran lorsqu’il pénétra dans ce qu'Yvan appelait son usine. Une chaleur à crever régnait. Il comprit pourquoi Yvan l'avait livré en marcel. - J'ai oublié un truc ? - Non. Non. En fait j'ai une question à te poser. - Vas y toujours. - Tu connais BioDiffusion ? - Hin. Bien sûr. - Hin ? Qu'est ce que ça veut dire ce Hin ? - Ça veut dire qu'il vaut mieux pas t'emmancher avec ces guerriers. Je te l'ai déjà dit.
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