« Vous devriez le garder, Noé. Vous devriez le garder, l'encadrer . Pour qu'il vous rappelle ce que vous avez vaincu. Et que ce que vous avez vaincu ne disparaîtra pas de si tôt. » Voila comment Jean Paul Rabotin avait conclu leur échange de près de deux heures. Sur le bureau, à côté de l'actiskenan, le disque dur, la clé USB de Potier et sa propre clé avaient toutes été utilisées. Toutes insérées dans l'ordinateur du patron. Et toutes avaient été ensuite effacées. C'était une affaire classée. Et Noé ne savait plus quoi dire. Ni quoi faire. Il se sentait terriblement stupide. Il s'était levé, avait serré la main de son patron en le remerciant pour son accueil et avait même pris l'actiskenan, prêt à écouter le conseil du technocrate. Pourtant les choses avaient commencé dans le sens inverse. Après s'être introduit par cette histoire de test, Noé n'y était pas allé de main morte. • Un test médical vous appelez ça ? • Oui. Moi j'appelle ça du harcèlement et du sadisme. Si vous voulez me voir partir, vous n'avez qu'à le décider. Je ne suis pas fonctionnaire. Mais sachez que je partirai avec les flammes de votre business dans le dos. • De quoi parlez vous ? • De ça. Noé avait alors balancé la clé USB, le seconde, celle qu'il avait fait par pure paranoïa, sur le bureau de son patron. Et il avait tout déballé. Les comptes faussés. Les ventes à perte. Le numéro au dos de la carte. La Nouvelle Presse du Centre. Et surtout, surtout, le dégoût profond qu'il ressentait à son égard pour l'avoir obligé à mettre le nez dans une situation stressante. Lui qui sortait à peine de la période la plus douloureuse de sa vie. Il avait peut-être bien même redit que c'était un sadique. Il avait fini par se lever voyant toujours le même sourire sur le visage de Rabotin. Il ne resterait pas dans cette banque. C'était clair. Clair avant même qu'il ne quitte l'agence de Châtellerault. Mais il partirait avec le souvenir du visage en sang de son tortionnaire. Il avait résisté à la pression. Il avait accepté le placard. Il avait même accepté la tentation. Il n'accepterait pas que cela reste impuni. • Vous avez raison, venez de ce côté, Noé. Vous verrez mieux. Noé n'était pas dupe, il s'attendait à une nouvelle séance de torture mentale. Rabotin ne prêta pas attention à la sueur qui coulait sur le front de son subalterne et inséra la clé de Noé dans son ordinateur. Il ignora le travail pour lequel on l'avait affecté et fit glisser le tableur sur le bureau de son PC. De là, il fit un copier coller et inséra les données dans une logiciel de comptabilité. Ciel, crut voir Noé comme nom du software au moment il s'ouvrit. Cela sentait pourtant l'enfer. Il ne douta pas une seule seconde que ses données, son travail, allaient être noyées dans une comptabilité plus générale. Quand il vit ce qui s'afficha, il ne put que poser une fesse sur le bureau de son patron. • Merde. • Comme vous dites. • Ça fait combien de temps que ça dure ? Impossible à savoir. Au moins depuis les données que vous avez numérisées. Sans doute avant. Trop d'archives se sont perdus lors de notre passage de Tours à Bordeaux. • Et qu'est ce que vous allez en faire ? • Vous, Noé ? Qu'est ce que vous en feriez ? • J’avertirai le fisc sans tarder. • Et que croyez vous que je vais faire ? Noé regarda Rabotin. Il le regarda comme s'il ne l'avait jamais vu. Ou plus exactement comme s'il ne le connaissait pas. Des cheveux poivre et sel bien taillés. Une absence de barbe révélant des plaques rouge par trop de rasage. Une mise des années 90, voire des années 80. Et des yeux aux commissures marquées par les années. Une vieux. Un vieux de la vieille. Il l'avait toujours pris pour une chevalier du mal. Un de ceux qui n'avait pas de conscience. Qui rêvait d'argent. Qui mangeait argent. Qui parlait pognon. Et voilà qu'il découvrait un type qui faisait son taf. Gestion des actifs Touraine Poitou. Alors il dit ce qui lui sembla le plus juste. Vous allez régler ça en interne. Je pense même que vous allez appeler cela, régularisation budgétaire. • De Prêt. • Pardon ? Régularisation de prêt. Maintenant j'ai une autre question à vous poser. Réfléchissez bien avant de répondre. Êtes vous avec nous, Noé ? Quand Noé voulut parler, Rabotin lui demanda d'attendre. C'est qu'il avait pris la carte de visite et lui avait dit ce qu'il en pensait. Maintenant que Noé descendait retrouver ses potes au Jardin des Plantes à vélo, la fraîcheur de la fin de journée glaçant ses joues dans la descente des Couronneries, il se dit qu'il n'y avait pas de décision à prendre. Juste une logique à comprendre. L'optimisation fiscale était une réalité. Les fonds publics étaient comme des tâches qui permettaient de fausser un bilan. Les comptes d'une entreprise en totalité. C'était aussi une réalité. Que Rabotin venait de lui montrer. Et si il lui avait demandé de numériser ses documents, ce n'était pas pour le punir. C'était parce qu'il savait qu'il trouverait. La faille. L'ordre. L'ordre des choses. Comme il saurait la séparer de la musique des films. Ceux que nous nous faisons quand le morceau est trop gros pour être vrai. Il jeta la carte de visite et l'actiskenan en rangeant son vélo. Ses deux amis s'écharpaient déjà violemment. Mais cette fois-ci, il allait les rejoindre. Après avoir appelé Rabotin. Ça aussi, c'était dans l'ordre des choses.
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